Le rap du moment, en particulier sa version française qui a beaucoup de succès par ici me fatigue prodigieusement. L’abstract hip hop et le trap envapé ne suscitent en moi qu’une lasse indifférence. Alors quelle joie de tomber en 2019 sur une bonne rythmique old school, un sample funky et une voix nature et ignorant que l’AutoTune existe! « Final Form » réunit toutes les caractéristiques du hip hop que je goûte et m’a donc tiré de ma léthargie face à ce genre si important, si imposant. J’exagère, me direz-vous, et « This Is America » de Childish Gambino (SOTW #151), c’était pas bien ? Si c’était énorme, l’intégralité du « Grey Area » de Little Simz est tout autant de la balle, mais je ne sais pas, « Final Form » a un je-ne-sais-quoi, une fraîcheur que les autres n’ont pas…
Serait-ce dû à son auteure et interprète, Sampa the Great ? Quelqu’un brandissant un tel nom d’impératrice ne peut avoir qu’un sacré tempérament. Et du tempérament, Sampa Tembo en a. Cette jeune femme de vingt-cinq ans, poétesse, auteure-compositrice et rappeuse est née en Zambie, a grandi au Botswana et vit aujourd’hui à Melbourne, après s’être installée quelque temps pour ses études en Californie avant d’élire domicile à Sydney, où elle a suivi une formation d’ingénieur du son. Ancestralement reliée à la musique, elle se souvient avoir chanté avec sa mère, sa famille et ses amis en Zambie et s’être ainsi fondue dans l’unisson, vivant une épiphanie qui lui fit comprendre combien le langage de la musique était universel. Adolescente, elle devient fan de Tupac et de Lauryn Hill, réalise la force des mots et de la poésie et décide alors de faire de la musique son métier, malgré des parents qui ne voient pas ce choix d’un très bon oeil, au point qu’elle leur cache la sortie d’une première mixtape en 2015.
Mixtape qui attire les oreilles de grands noms comme la chanteuse R n’B Estelle, Joey Bada$$ (qui l’a portée aux nues) ou Kendrick Lamar (ceux-ci l’invitant en studio ou pour assurer leurs premières parties) et qui ouvre le chemin à une seconde deux ans plus tard (« Birds At The BEE9 »), qui mêle avec bonheur rap et soul, traite de politique et de spiritualité, bref l’essentiel et rencontre un succès monstre dans son pays d’adoption, l’Australie. L’album « The Return » sort aujourd’hui même et a suscité une fiévreuse attente de la critique (en confère le long article que lui ont consacré les Inrocks). Avec ce premier « véritable » album, Sampa the Great a focalisé de nouveau son attention sur l’Afrique comme le montrent les vidéos filmées au Botswana et en Afrique du Sud, même si l’album a été réalisé à Sydney, et elle clame que bien des chansons de ce disque ont été inspirées par celles qu’elle chantait pendant son enfance. Définissant un vrai style avec brio, elle propose sa réappropriation de cette culture ancestrale en la déclinant via un hip hop chaleureux, dansant et décidément funky.
« Final Form » relate sa quête artistique et humaine, le chemin emprunté pour arriver à la plénitude, même s’il est constellé d’embûches, et revendique son africanité. « Great state I’m in, In all states I’m in, I might final form, In my melanin » (je suis dans un bel état, je suis dans tous les états, je pourrais trouver ma forme finale, dans ma mélanine). Musicalement, comme je le disais plus haut, c’est un hymne très old school basé sur des samples d’une chanson de 1973 des Sylvers, groupe familial funk proto-disco de Los Angeles « Stay Away From Me » et c’est brillant. Nul doute que Sampa et son producteur ont su trouver le « Get Down » idéal dans cette pépite oubliée dont je vous livre la version originale ci-dessous.