SOTW #204 : Alive, Hanni El Khatib

Brothers and sisters, une chose est sûre. Le confinement ne sied pas à l’activité intellectuelle, et moins encore à tout ce qui relève du créatif. J’avais imaginé entre-autres, au début de cette période de merde (désolé, je n’ai pas d’autre mot), de rédiger chronique après chronique pour la Culture de l’Ecran. J’ai dû revoir très vite mes ambitions à la baisse. Pas que je n’aie pas écouté de musique, bien au contraire j’ai eu tout le loisir de revisiter in extenso mon patrimoine de fan (Talking Heads, Christine & the Queens et Otis Redding m’auront bien accompagné) et de creuser plus profondément dans des oeuvres que je méconnaissais (au hasard, celles de Christophe, d’Harry Nilsson ou de French 79, j’y reviendrai). J’ai aussi découvert de bien belles nouveautés, et c’est ce qui m’a toujours et avant tout ému et animé.

Comme ce nouveau single d’Hanni El Khatib envoyé en éclaireur d’un cinquième et nouvel album  « FLIGHT », qui sort aujourd’hui même. « ALIVE » a un titre parfaitement en contradiction avec la morosité ambiante, gueule sa rage de vivre face à la crise. Cette chanson a bien sûr été composée avant que le virus ne se répande mais sa date de sortie n’aurait pas pu être mieux programmée… Je vous avais présenté ce musicien californien avec « Moonlight » (SOTW #47), extrait de l’album éponyme sorti en 2015. D’ascendance palestinienne et philippine, le San-Franciscain de trente-huit ans, skateboarder féru de surf music, de blues, de soul et de rock 60’s a d’abord été designer pour des vêtements streetwear et skate avant de diriger toute son énergie vers la musique. Guitariste et pianiste accompli, il crève l’écran dès « Will The Guns Come Out » son premier album en 2010 remarqué pour son côté néo-vintage et ses compositions garage rock au son lo-fi très marquées par le rockabilly, la surf music et le doo-wop. Son allure impeccable et sa belle gueule le plaçant idéalement comme un rocker aussi crédible que commercialement viable, entre les White Stripes et Jon Spencer. Après avoir enfoncé le clou sous forme d’un second album furieusement rock n’roll mais un tant soit peu trop scolaire produit par le Black Keys Dan Auerbach, il manifeste des envies d’ouverture avec « Moonlight », album où il joue de tous les instruments hormis la batterie, la plupart du temps samplée depuis les parties jouées par le batteur. Musicalement plus diversifié, abordant même et avec quelle réussite la soul proto-disco symphonique avec le fantastique « Two Brothers ». Cette méthode autarcique et pourtant très ouverte est reconduite avec « Savage Times », collection de cinq EP de très haute tenue sortis en 2017.

Totalement affranchi de la bienséance et des diktats « rock », Hanni El Khatib semble avoir accompli une nouvelle mue à l’écoute des trois premières chansons déjà offertes au public et qui précèdent la sortie de « FLIGHT ». Trois morceaux courts et percutants enregistrés en solitaire, recourant cette fois-ci à un bricolage D.I.Y. qui a plus à voir avec le hip hop qu’avec le rock, convoquant l’esprit ludique et inventif du Beck des débuts, celui d’ « Odelay ». Si « STRESSY » installe une tension urbaine haletante, si « DUMB » téléporte le doo-wop vers des étendues electro inquiétantes, « ALIVE » nous tire vers le haut. « I can’t believe I survived » clame t-il sur un tempo primesautier et éminemment dansant, évoquant un accident de voiture auquel il a heureusement survécu. Avec ses flûtes et cuivres électroniques et son beat hip hop, cette ritournelle estivale à la mélodie presque bossa-nova à l’énorme potentiel tubesque devrait servir de cheval de Troie à un album qui promet d’être franchement décoiffant. Le solo de piano jazzy prouve qu’Hanni El Khatib peut faire preuve de sa grande musicalité quand ça lui chante, mais la production brute de décoffrage confirme que le skateur californien a gardé toute son âme punk et garage. On ne peut en tous les cas que louer son esprit aventurier et son refus du surplace. 

Version studio, avec le (très joli) break au piano absent sur la vidéo (complètement barrée) :