SOTW #184 : Springfield 61, L’Épée

Un groupe au nom tranchant, une chanson au titre de modèle de flingue, le nouveau super-groupe catalano-californien l’Épée ne donne décidément pas dans le mièvrerie. Sa genèse est d’ailleurs assez onirique et originale. L’actrice et chanteuse fan de rock Emmanuelle Seigner (tellement plus rock que sa soeur..), Mme Polanski autrement dit souhaitait revenir à la chanson après avoir collaboré avec Ultra Orange en 2007, pour un album à la saveur psychédélique aux antipodes du caprice de star mais démontrant un goût certain pour un rock sombre et distordu inspiré par le Velvet Underground et the Jesus & Mary Chain, intouchables références.

Comme tout le monde, Emmanuelle Seigner a craqué sur the Limiñanas en entendant « Down Underground », extrait de leur premier album dans la série américaine « Gossip Girl », séduite par cette ambiance trash yéyé, gainsbourienne et impertinente. Elle se rend donc à Cabestany, fief du couple Limiñana dans les Pyrénées-Orientales et le flash est mutuel et la relation basée sur une absence totale de frime comme d’ego trip. Emmanuelle apparait donc naturellement dans la chanson « Shadow People » (SOTW #168) ainsi que dans la vidéo de « Dimanche » (SOTW #145), chantée par le fameux Bertrand Belin. Germe alors l’idée d’un album d’Emmanuel Seigner produit par Lionel Limiñana. Le guitariste avait d’ailleurs évoqué ce projet lorsqu’on l’avait rencontré avant un concert à Dijon l’automne 2018. Et puisque la collaboration avec Anton Newcombe, le fantasque leader du Brian Jonestown Massacre et musicien génial avait si bien fonctionné pour « Shadow People », celui-ci s’embarque avec enthousiasme dans l’aventure et les deux songwriters se mettent au travail.

Anton Newcombe fait alors un rêve dans lequel les quatre protagonistes formaient un groupe et que celui-ci s’appellerait l’Epée. Si cette histoire a été servie et resservie dans la presse, elle signifie toutefois que l’investissement de chacun a bénéficié à un collectif et fut donc de ce fait plus intense. Enregistré entre Berlin (le studio de Newcombe) et Cabestany, « Diabolique » est un disque bilingue, psychédélique et follement élégant. Si le premier single « Dreams », envoyé en éclaireur, recréait avec bonheur l’ambiance sixties déjantée des premiers Limiñanas, le reste de cet album se rapproche bien plus du Velvet Underground, la voix d’Emmanuelle Seigner rappelant d’ailleurs celle de la « chanteuse » de l’album à la banane, Nico. « Diabolique » est baigné de l’influence tutélaire de Lou Reed (la chanson « Lou », écrite par Bertrand Belin est sans équivoque et évoque combien il nous manque). « Ghost Rider », « Une Lune étrange » ou « La Brigade des Maléfices » sont de sombres épopées noisy où Anton Newcombe retrouve son meilleur niveau d’inspiration. Le duo avec l’ami Belin « On dansait avec elle » fonctionne divinement, la voix d’Emmanuelle Seigner et celle de Belin, plus Manset que jamais, s’accordant parfaitement. Au milieu de ce bloc de noirceur pop, « Springfield 61 » est une éclaircie, jouant le rôle du « Sunday Morning » du premier Velvet, une chanson apparemment douce, avec ce glockenspiel et ces guitares acoustiques carillonnants, ces choeurs solaires noyés dans l’écho. Les soubassements de la chanson sont pourtant en fusion, un magma de guitares fuzz, de mellotron et d’orgues inquiétant et lointain qui recouvre la voix, laquelle de toute façon n’est pas si innocente qu’elle le paraît. Car la belle annonce tranquillement à celui qui la suivra qu’il va déguster, à coup de révolver? Joli oxymore musical, « Springfield 61 » flotte dans l’atmosphère avec grâce. 

L’Epée tournera cette fin d’automne, peu de dates sont prévues (à Lausanne, Lyon, Paris…) mais l’occasion de voir les Limiñanas, Emmanuelle Seigner et Anton Newcombe sur scène est bien belle pour qu’on se déplace un peu. 

NB: La version (plus que conseillée) de l’album, ci-dessous, dure une minute de plus, avec vagues de guitares en fusion.