SOTW #145 : Dimanche, The Limiñanas (feat. Bertrand Belin)

The Limiñanas sont un cas d’espèce. Ce duo perpignanais, composé des époux Lionel et Marie Limiñana a été reconnu à l’étranger, Etats-Unis et Grande-Bretagne en tête bien avant se voir accorder le moindre intérêt en France. Le groupe a été fondé en 2009 par un activiste musical (Lionel a été multi-instrumentiste dans moult groupes, organisé des concerts et tenu un magasin de disques à Perpignan), lequel a bricolé pendant une pause de travail des divers combos dans lesquels il jouait deux morceaux dans leur maison du petit village de Cabestany. L’un des deux « Migas 2000 » est une brève fantaisie jerk très Austin Powers avec guitares fuzz et une recette de cuisine récitée par une blanche voix féminine nimbée d’écho. Baptisé pour plaisanter the Limiñanas (son nom de famille…), le groupe fictif auto-proclamé les poste sur feu MySpace et est aussitôt remarqué par une maison de disques de Chicago qui propose de les distribuer et réclame d’autres chansons… Marie se met donc à la batterie, se forgeant un style primitif qui rappelle celui de Maureen Tucker dans le Velvet Underground, avec tom basse et tambourin omniprésents, Lionel se chargeant de tout le reste, des guitares, basses et claviers forcément vintage. Dans l’urgence, ils dégainent l’improbable mais imparable titre néo-yéyé « Je ne suis pas très drogue » (quand même joué sur certaines radios), joli moment d’absurdité sexy où les talk-over masculin et féminin se croisent, pour un résultat pas si éloigné des pastilles colorées que Gainsbourg écrivait pour Bardot à la fin des sixties. Les disques suivants donnent dans cette même veine pyschédélique néo-yéyé, avec des titres comme « Je suis une Go Go Girl » ou « Votre côté yéyé m’emmerde », toujours chantés par des amis invités et évoquant le Philippe Katerine d’avant la mue electro pop, en bien plus rock n’roll.

Un projet commun avec leur ami catalan, instrumentiste génial et artiste total Pascal Comelade, le disque instrumental au titre dadaïste « Traité de guitarres triolectiques (à l’usage de Portugaises ensablées) » en 2015 permet aux Limiñanas de signer avec le label français Because, ce qui permettra au couple de sortir enfin un album en France et de rééditer les quatre premiers qui n’avaient pas été distribués chez nous. Le premier album « français », « Malamore » est sorti en 2016. Entre surf rock, italo-jerk, ambiances cinématographiques à la Ennio Morricone, le cocktail détonne surtout car Lionel utilise maintenant des instruments exotiques, l’oud, le bouzouki et le thérémine côtoient les orgues acides et les guitares fuzz. Peter Hook, le légendaire bassiste de New Order, pose une ligne de basse très typée et sa voix sur l’excellent single « Garden of Love » susurré par Marie, « El Beach » recrée avec un psychédélisme plein de flegme la torpeur estivale des plages de la Côte Vermeille et « Prisunic » est une drôlatique aventure jerk. Une réussite. Malgré la langue française et l’incroyable insularité de cette musique, Bobby Gillepsie de Primal Scream, le célèbre DJ anglais Andrew Weatherall et Anton Newcombe, le fantasque leader du Brian Jonestown Massacre ne tarissent pas d’éloges sur the Limiñanas. Ce dernier proposera au duo de venir travailler dans son studio à Berlin. Mieux, il allait jouer de la guitare avec eux et co-produire l’ensemble…

Séances où ils accouchèrent de « Shadow People » L’album suinte l’ambiance berlinoise, robotique, narcotique. La rythmique est plus sèche, la texture plus foisonnante, plus synthétique aussi avec une utilisation massive de synthés Korg. Anton Newcombe chante le très garage « Istanbul is Sleepy » et les featurings aussi prestigieux que pointus apparaissent ça et là. Peter Hook revient poser sa basse et mêler sa voix à celle de Marie sur « The Gift », Pascal Comelade déverse son génie instrumental, Emmanuelle Seigner interprète la chanson titre. Pour « Dimanche » , on retrouve Bertrand Belin. Le granitique auteur-compositeur breton (sa « Peggy » a été SOTW #15) pose sa voix profonde à la Bashung et son style minimaliste sur un morceau très cinématographique, façon nouvelle vague française. Talk-over narrant une relation pas simple, « Dimanche » débute par une modulation de synthé avant d’installer un deux-temps très scandé ponctué de tambourin et un motif de guitares très rock new-wave, un peu à la New Order, créant une ambiance hypnotique et existentialiste montant en puissance tout au long (plus encore dans la version live, excellente). Post-yéyé, psychédélique, néo-sixties, cette musique, dans toute son ébouriffante modernité pop, est intrinsèquement française. Soyons-en conscients et reconnaissants !

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