SOTW #225 : Bear With Me (And I’ll Stand Bare Before You), Charlotte Adigéry

Quiconque ayant vu le film de Felix Van Groeningen « Belgica » (2016) se souviendra de cette marquante scène de la fin quand dans le bar désert, une chanteuse soul s’approprie un backing track electro désolé sur lequel elle pose un chant débordant de feeling, créant ainsi une ballade electro-soul parfaitement inédite et nécessaire. Cette fille s’appelle Charlotte Adigéry et elle est devenue en cinq ans une incontournable figure pop (très alternative, il faut le concéder) en Belgique et ailleurs.

Née en France d’un père guadeloupéen et d’une mère martiniquaise aux racines yoruba, elle s’installe avec sa famille à Gand, Belgique flamande, à un jeune âge. Le mélange culturel devait alors s’imposer naturellement à la jeune Charlotte, qui s’en alla étudier la musique à l’université d’Hasselt avant d’essayer d’en faire professionnellement. Elle est alors remarquée par des bonnes fées en les personnes de David et Stephen Dewaele, les deux frères derrière Soulwax, 2 Many DJ’s entre autres incarnations musicales. Ils lui demandent alors de chanter The Best Thing, cette ballade de la B.O. de « Belgica » qu’ils composèrent intégralement, jouant ou déléguant l’interprétation à des groupes castés et créés pour l’occasion (voir SOTW #85 How Long). Elle allait aussi devenir la première signature et le pilier de Deewee, nouveau label des Gantois qui ont aussi construit leur studio du même nom dans la ville flamande (studio qui mériterait qu’on le visite, tout au moins virtuellement, tant son architecture comme ses équipements et lieux de vie sortent résolument de l’ordinaire, n’hésitez pas à fouiller sur le net pour en savoir davantage), s’offrant ainsi une totale et enviable autonomie artistique.  En 2017 sort un premier EP autoproduit à son nom où elle chante en anglais, français et créole d’une voix soul des expérimentations froides et assez cosmiques, puis sous le nom de WWWater un titre, La Falaise, inspiré par le tumulte de l’eau dans des gorges en Martinique.

Il faut attendre 2019 pour que s’installe le phénomène Charlotte Adigéry avec l’EP « Zandoli ». Elle trouve alors la formule magique en s’associant à un autre Antillais installé en Belgique et autre signature du label Deewee, Bolis Pupul, lequel co-écrit les chansons et produit et en faisant mixer le tout par les surdoués de la discipline David et Stephen Dewaele. Bien davantage que dans ses précédentes tentatives, les chansons deviennent très personnelles, au niveau de la composition comme du son. Ainsi, Paténipat ne ressemble à rien de connu tout en étant extrêmement évidente. Une simple trame électro, presque exclusivement percussive sur laquelle Charlotte chante une comptine en créole prend une ampleur techno surpuissante quand le débit du chant comme l’habillage s’accélèrent, générant une transe primitive qui devrait faire un malheur sur les pistes de danse (enfin, quand on pourra). High Lights, tube potentiel incontestable, est plus classiquement pop et parle de féminité noire avec fierté, la voix enjouée et l’interprétation vocale enjouée contrastant avec le côté mécanique de l’orchestration. Le chaud s’impose dans le froid, et ça marche terriblement bien.

Le nouveau single de Charlotte Adigéry qui nous intéresse ici Bear With Me (And I’ll Stand Bare Before You) représente et ouvre fièrement « Foundations », première compilation du label Deewee (numéro de catalogue DEEWEE 50) rassemblant titres et mixes des artistes signés et de Soulwax et dessinant ainsi les contours d’une nouvelle electro pop nourrie d’influences multiples et dénuée d’œillères partisanes d’une absolue cohérence. On se penchera par exemple avec intérêt sur l’album de James Righton, ex-leader des Klaxons et collaborateur d’Arctic Monkeys, dont le Release Party ici présent est très alléchant.

La chanson rassemble tous les éléments du style Adigéry, style qu’elle est parvenue à définir avec autorité en un temps record. L’instrumentation minimaliste (les programmations des quatre coups de cymbale et des roulements sont franchement démoniaques) ne cesse de s’étoffer tout au long de cet ostinato, des riffs de violons très disco pointant leur nez avec une insistance grandissante, tout comme l’interprétation vocale de la chanteuse, laquelle met toute sa gomme soul dans les ponts. Le mix des frères Dewaele sait, quant à lui, se charge avec la dextérité qu’on leur connait de dynamiter l’ensemble avec une efficacité maximale. Charlotte Adigéry devrait alors très vite s’imposer pour ce qu’elle est, l’une des musiciennes pop les plus captivantes du moment. La vidéo très barrée au surréalisme empruntant à Magritte comme à David Lynch est une belle métaphore de la vie confinée…. Charlotte Adigéry est programmée au festival Nuits Sonores à Lyon, du 20 au 25 juillet, lequel a pour l’instant lieu.