Le concert de Balthazar à la Rodia à Besançon est l’un des derniers d’envergure auquel j’ai eu le bonheur d’assister. C’était en automne 2019 et le groupe de Courtrai, ou plutôt Kortrijk en Belgique flamande venait de sortir « Fever », solide album qui renouvelait en profondeur son style. Un changement de line-up (qui équivalut à la disparition du violon dans la palette du groupe live) leur permit alors de prendre des distances par rapport à l’altière indie-pop continentale volontiers progressive et expressionniste, qui les caractérisait jusqu’alors. Comme le démontrait l’excellent (et idoinement nommé) single Entertainment (SOTW #166), Balthazar dévoilait ainsi un côté groovy et sexy un peu louche qui ne demandait qu’à être développé. Cette révolution culturelle assit à la tête du groupe une direction bicéphale avec les deux chanteurs et compositeurs principaux du groupe, Jinte Deprez et Maarten Devoldere. Avant « Fever » ils s’étaient lancés dans des expériences en solo, respectivement sous les noms de J. Bernhart et de Warhaus (Mad World est d’ailleurs la SOTW #166bis) et cette aventure les a vraisemblablement inspirés au-delà de leurs espérances. On ne s’attendait pourtant pas à ce que Balthazar revienne aussi rapidement avec un nouvel album. Les deux leaders ont travaillé chacun de leur côté, confinement oblige, et ont dû expérimenter davantage avec leurs claviers et leurs ordinateurs, propulsant la musique de Balthazar dans une dimension encore peu explorée. Ils avouent d’ailleurs avoir pris un grand plaisir à casser leurs habitudes de travail et aller ainsi dans une direction pas forcément imaginée au départ. « Sand » s’impose donc comme une rare conséquence heureuse de la crise…
Le single Losers lancé en éclaireur en automne 2020 confirmait la direction prise avec « Fever ». Cette chanson pop très efficace est en effet montée sur un groove pneumatique et décontracté, funky et sensuel, la suave voix grave de Jinte Deprez trouvant un contrepoint idéal avec les chœurs en falsetto de Maarten Devoldere (ou serait-ce l’inverse, tant les deux chanteurs passent avec une remarquable aisance d’un registre à l’autre). Les programmateurs radio ne s’y sont d’ailleurs trompés, car jamais la musique de Balthazar n’avait autant résonné sur les ondes… Malgré cette pochette d’un goût très discutable et en aucun cas représentative de ce que l’album renferme (un monstre de programme TV pour enfants dans une salle d’attente, il faudra s’expliquer…) « Sand » sorti fin janvier est fort cohérent. Tout ici est charnel, cool et élégant tout en étant commandé par un groove réglé au millimètre grâce à l’usage de loops et des programmations expertes, avec suffisamment de variété dans les rythmes pour ne pas sombrer dans la monotonie. On A Roll, troisième extrait dévoilé, est peut-être la chanson la plus sombre de l’album, la faute à un tempo syncopé et à un lancinant gimmick de guitare. Elle est pour autant aussi mémorable qu’addictive, grâce au jeu de contraste mélodique très réussi entre le chant crooner et les chœurs en fausset très pop et aussi au groove un peu louche qui vous fera sans coup férir onduler. Le morceau s’envole au moment du pont où intervient un ensemble de cuivres à la mélancolique saveur continentale, presque brechtienne, convoquant l’esprit des fanfares belges qui font partie de l’ADN des membres de Balthazar (tous excellant aux cors et cuivres, comme on a pu le vérifier sur scène), ce break prenant de l’ampleur avec l’arrivée de chœurs féminins gorgés de soul. Moment d’une grande musicalité témoignant d’une vraie science des arrangements, tout en revisitant les harmonies que Balthazar décline depuis les débuts du groupe.
Les onze morceaux composant « Sand » réservent de belles surprises pour qui suit Balthazar depuis longtemps et séduiront facilement tous les autres… L’introductif Moment résume tout ce que le groupe sait faire avec éloquence, mélodie en or, tempo syncopé et cuivres Mitteleuropa nostalgiques. Linger On est un exercice disco très réussi, avec son gimmick synthétique à la Popcorn et sa mélodie ensoleillée. La ballade aux couleurs jazzy You Won’t Come Around offre une belle respiration au milieu de l’album, avec son final rêveur et romantique. La louche et séduisante Halfway, à coup sûr futur grand moment des concerts car faite pour être reprise en chœur par la foule et la foisonnante et percussive Hourglass complètent avec bonheur ce solide album avec lequel Jinte Deprez et Maarten Devoldere s’imposent comme de grands compositeurs pop, s’étant concentrés sur les chansons comme jamais pour un résultat optimal. Avec ce rutilant « Sand » , Balthazar passe la cinquième tout en souplesse…