L’un des albums les plus attendus de ce printemps 2021, avec une impatience non-feinte et une immense curiosité en ce qui me concerne, est « Daddy’s Home », sixième album de St. Vincent (septième si l’on compte son album commun avec David Byrne « Who’s That Giant » en 2012). Il sortira le 14 mai, et on espère qu’à cette date nous aurons retrouvé une relative liberté et que l’horizon sera enfin dégagé… En signe avant-coureur, l’artiste texane a envoyé deux chansons extrêmement prometteuses qui squattent d’ores et déjà mon cerveau. C’est d’ailleurs la quatrième fois qu’un morceau de St Vincent est Song Of The Week (après Digital Witness, SOTW #86, Pills, SOTW #132 et Fast Slow Disco, SOTW #156)
Annie Clark, alias St Vincent, est probablement l’héritière la plus convaincante de David Bowie car elle applique à la lettre la règle d’or qui avait régi sa décennie immensément créative (de 1969 à 1980). Soit présenter une nouvelle incarnation à chaque album, musicale et thématique bien sûr, mais aussi esthétique. L’allure physique devant personnifier chaque album et permettre à chacun de l’identifier d’un simple regard. Avec « MASSEDUCTION », de 2017 à 2019, Annie Clark avait revêtu les guêpières, gants, cuissardes à talons aiguilles, bustiers de vinyle fluo et portait le carré noir strict pour se transformer en la dominatrice de l’apocalypse qui toisait les spectateurs avec postures hiératiques. Parfaitement en adéquation avec la musique de cet excellent album, le look de St Vincent était anguleux et flashy à la fois, mais, avoue-t-elle, extrêmement contraint. La St Vincent autrement plus détendue de « Daddy’s Home » semble tout droit sortie d’un film de John Cassavetes ou d’un épisode de The Deuce. Avec sa perruque blonde à la Angie Dickinson, ses tailleurs pantalons à la fois fluides et extrêmement élégants et ses chaussures à plateforme, Annie Clark redonne vie à un certain chic américain 70’s. C’est dans ce New-York de nuits blanches et de sensations fortes que St Vincent nous emmène et d’un simple coup d’œil on a idée de ce qui nous attend musicalement. En un violent retour de balancier, elle a eu envie d’une musique plus relâchée, d’un son plus chaleureux inspiré par le funk de Sly & The Family Stone comme par le soft rock groovy de Steely Dan, musiques qui l’ont toujours accompagnée. Et surtout envie de revenir à une musique jouée ensemble, avec des gens, soit l’antithèse parfaite de ce qu’il convient de faire en ce moment, et pas seulement à cause du confinement…
Pay Your Way In Pain, le premier single, renvoie à l’idole absolue et à son album de plastic soul «Young Americans », citant assez ouvertement (même phonétiquement) le plus gros hit américain de Bowie, Fame (il suffit d’entendre comme elle articule « You got to pay your way in pain, you got to pray your way in shame » dans le refrain)… Cet hypnotique mid-tempo funk invitant à s’abandonner lascivement parle pourtant d’exclusion, la narratrice relatant comment elle est systématiquement rejetée dans tout ce qu’elle entreprend, parabole de la dureté de la vie urbaine… Le piano honky tonk introductif laisse vite la place à un groove serré servi par un riff très efficace, à la guitare ou au synthé, on ne se prononcera pas mais l’effet est maximal. La voix expressive d’Annie Clark, plus laidback qu’à l’accoutumée et dans les graves joue aux questions réponses avec les chœurs, pont où elle retrouve son mezzo soprano naturel qu’elle pousse jusqu’au cri pour hurler « I wanna be loved » jusqu’à la distorsion. Le contraste entre l’ambiance funky enjouée de la musique et la noirceur du texte montre que St Vincent n’a en rien remisé l’ironie inquiétante dont elle joue depuis ses débuts.
L’autre chanson envoyée en éclaireuse The Melting Of The Sun est une douceur soul folk aux couleurs de crépuscule où Annie Clark rend sincèrement hommage aux femmes musiciennes qui l’ont inspirée, Joni Mitchell, Nina Simone ou Tori Amos. On y retrouve son incandescent et très personnel jeu de guitare, toujours aussi bluffant. On ne sait pas quand St Vincent pourra présenter cette nouvelle incarnation sur scène, mais elle a donné quelques indices à ses fans en jouant ces deux chansons lors du show TV américain Saturday Night Live le 3 avril. A fond dans son nouveau rôle, elle partage cette fois-ci le plateau avec des musiciens stars (le guitariste Jason Falkner et le bassiste Justin Meldal-Johnsen, partenaires de Beck, le batteur Mark Guiliana qui a joué sur le « Blackstar » de David Bowie) et surtout trois choristes épatantes qui lui donnent la réplique dans la grande tradition soul et avec lesquelles s’installe une vraie complicité. Au risque de me répéter, j’ai hâte de pouvoir applaudir St Vincent sur scène, en attendant je me jetterai sur « Daddy’s Home » avec urgence.