Kevin Parker, l’homme derrière Tame Impala, doit savoir s’occuper pendant un confinement. En effet, un single du premier album « Innerspeaker » s’appelle « Solitude Is Bliss » (la solitude c’est l’extase) tandis que son second effort discographique enregistré à Paris était titré « Lonerism » , néologisme qu’on pourrait traduire par « l’art d’être seul ». Et si Tame Impala est un groupe sur scène, comportant d’excellents musiciens tels le claviériste Jay Watson, le batteur français Julien Barbagallo ou le multi-instrumentiste ici à la basse, le parfait Cameron Avery (voir SOTW #159), c’est l’affaire du seul Kevin Parker quant il s’agit d’écriture et de studio.
Je vous ai à plusieurs reprises tressé les lauriers de Tame Impala, dont je suis tombé amoureux lors d’un mémorable concert aux Eurockéennes en 2013, avec deux extraits de « Currents » , album qui a mis le groupe sur orbite en 2015 (« Let It Happen », SOTW #62 et « The Less I Know The Better », probablement la meilleure composition de Kevin Parker, SOTW #82) et un récent shot sur « It Might Be Time », single avant-coureur du quatrième album de l’Australien « The Slow Rush », paru en février. Depuis ses débuts à Fremantle, Australie-Occidentale à la fin des années deux-mille, Kevin Parker s’est hissé à la place enviée du musicien, arrangeur et producteur avec lequel tout le monde veut travailler. Il faut dire qu’il prête ses services aussi bien à ses amis d’enfance, comme le groupe Pond (SOTW #121), ses accompagnateurs (Julien Barbagallo, Cam Avery), ses petites amies (la Française Melody’s Echo Chamber) comme aux poids-lourds du Gotha pop et R n’B (Mark Ronson, Lady Gaga, Rihanna…). C’est dire combien ce nouvel album était intensément attendu, cinq ans après le précédent, Parker maintenant le suspense à son comble en envoyant des nouveaux titres en éclaireurs.
Loin semble être le groupe de rock psychédélique qui anima les deux premiers albums. Avec « Currents », Kevin Parker a fait sa révolution culturelle en proposant un son plus pop et plus dansant en mettant les guitares jusqu’ici prédominantes en veilleuse et des mélodies accrocheuses conservant le côté planant qui a toujours caractérisé Tame Impala. Le clou est enfoncé avec « The Slow Rush », un album remarquablement produit au son peaufiné jusqu’à l’extrême. Interprété, joué et réalisé entre Los Angeles et Fremantle par le seul Parker, l’enregistrement a été émaillé d’incidents, comme cet incendie de la villa qu’il avait investie à L.A. où la majorité de son matériel est parti en fumée. Matériel pléthorique si l’on se fie au son de l’album, avec claviers vintage en tous genres et percussions multiples. Pourtant, c’est comme souvent chez Tame Impala la basse qui mène la danse, Parker reconnaît avoir sauvé la basse Hohner (la même que celle de McCartney) avec laquelle il compose. De toute façon, il a pris son temps, a littéralement mis une « lente urgence » à créer cet album. Si les singles avant coureurs sont presque tous présents, on peut se demander pourquoi Parker a préféré dans le genre yacht rock dansant le pas terrible « Borderline », ici dans une version raccourcie et plus musclée il est vrai, plutôt que le très bon « Patience », dans le même style et emmené par d’exubérantes congas. Plutôt que le côté soul et R n’B très en avant sur « Currents », Parker invente cette fois-ci un psychédélisme n’ayant rien à voir avec le rock des années soixante mais recyclant la house et l’electro, comme dans le très disco « Breathe Deeper » ou créant des grooves circulaires qui désorientent et qui cocoonnent comme dans l’introductive « One More Year ». Les chansons peuvent muter dans leurs progressions, comme dans la remarquable et intrigante « Posthumous Forgiveness », dédiée à son père disparu, ballade qui se mue en monstre electro précédant une coda apaisée.
« Lost In Yesterday » est peut-être la chose la plus pop de « The Slow Rush« . Composition voisine de l’excellente « The Moment » dans « Currents », la chanson est bâtie sur un robuste tempo 3/4 qui swingue sans effort en suivant le drive irrésistible de la mélodie de basse slappée. On est en terrain connu avec cette batterie volubile, ces claviers enveloppants, cette voix éthérée, cette tenace et sinueuse mélodie mélancolique. Toutefois, c’est avec un synthétiseur malin au son cheap que Parker assène le chorus de la chanson, amenant humour et légéreté à l’ensemble. Futur grand moment des concerts (oui, un jour on pourra y retourner…), « Lost In Yesterday » a tout d’un hymne. M’est avis qu’on en aura grand besoin quand on retrouvera le monde libre.