A une cadence rapide à laquelle on n’est plus vraiment habitué, Beck vient de sortir son nouvel album « Hyperspace » deux ans à peine après la réussite ultra-pop « Colors ». Comme toujours, le divin Californien adepte du pas de côté a sorti un album à la direction fort différente du précédent. Après ses débuts en mode folk alternatif au début des années quatre-vingt-dix, Beck Hansen s’est fait connaître en 1994 via un tube mondial hip hop slacker mâtiné de country (le toujours très efficace « Loser », issu de l’album « Mellow Gold »), a déconstruit avec bonheur la pop en croisant en une folle architecture moult samples aussi incongrus que malins dans le chef d’oeuvre post-moderne « Odelay » en 1996 avant d’oser un album majeur de chansons folk, country et bossa-nova sous la forme du recueil « Mutations » deux ans plus tard, puis un hommage très appuyé à son idole de toujours, Prince, dans « Midnite Vultures », album aussi lascif que funky en 1999. Après ce coup de maître en quatre manches aussi différentes que complémentaires, Beck a navigué entre ces quatre directions, souvent avec un grand bonheur et sort des albums à la qualité toujours manifeste et constante, quelle que soit l’orientation retenue, et en ajoutant à chaque fois ce petit quelque chose qui le maintient au pinacle de la chose pop, façon pop néo-psychédélique remarquablement troussée (« Modern Guilt » en 2008, concocté avec Danger Mouse), folk hiératique au romantisme crépusculaire (« Morning Phase » en 2014) ou encore le feu d’artifice de pop ultra efficace du récent « Colors » (replongez-vous dans « Morning » (SOTW #9) et « Dreams » (SOTW #95) et redécouvrez le shot déjà consacré à l’artiste pour son hit « Up All Night »).
On fut donc à la fois intrigué et enthousiasmé d’apprendre que pour son futur album à paraître, Beck faisait équipe avec rien moins que Pharrell Williams. Et si le chanteur pop n’a jamais caché son amour pour le hip hop, le R n’B et déclaré qu’il était grand fan de N.E.R.D., on ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’un tel partenariat pourrait générer. Et si le premier extrait « Saw Lightning » est un reboot de « Loser », avec harmonica country, slide guitar hillbilly, chant blues tellurique, boîte à rythmes et synthés malins, c’est bien la seule chanson de l’ensemble à tempo rapide et dansant, agissant comme un passage de témoin entre le feu d’artifice « Colors » et l’introspection folk futuriste et la synthpop qui caractérisent « Hyperspace ». Pharrell Williams, chantre du minimalisme à effet maximaliste voulait donc en découdre avec le songwriter qu’est avant tout Beck plutôt que de lui administrer un traitement R n’B et on ne peut que louer ce choix inspiré. Avec ses synthétiseurs planants, ses cloches lointaines et son rythme presque trap, « Uneventful Days » est un écrin musical onirique et mélancolique où la mélodie, typiquement « beckienne », brille de mille feux. Cette pop langoureuse et futuriste qui caractérise l’album entier est très enveloppante et réconfortante et l’économie de moyens dispensée par la production de Pharrell lui donne l’efficacité attendue, tout en s’adaptant à merveille à l’univers de Beck. Univers en accord avec la grisaille du quotidien sur lequel le Californien pose un regard triste et désabusé: « Uneventful days, uneventful night, Living in that dark, waiting for the light, Caught up in these never ending battle lines,
Everything has changed and nothing feels right » (Jours sans histoire, nuits sans histoire, Vivant dans le noir, attendant la lumière, Captif de ces infinies lignes de front, Tout a changé et rien ne semble aller). Il pourrait parler du monde d’aujourd’hui, il pourrait parler d’une relation qui s’est mal terminée. Et comme souvent avec Beck, cette sourde mélancolie est étrangement amicale et bienfaisante. « Dark Places », « Stratosphere » ou le superbe final gospel futuriste « Everlasting Nothing » sont du même tonneau qui pourrait faire d’ « Hyperspace » le disque de chevet qui nous aidera à passer l’hiver.
Le clip officiel, dirigé par Dev Hynes (l’homme derrière Blood Orange), enchaîne comme l’album l’intro planante « Hyperlife » et « Uneventful Days ». (la chanson commençant à 1:27). Il met malicieusement en scène la mythologie « beckienne », deux femmes portant les tenues emblématiques qu’arbore Beck dans de célèbres vidéos. Ainsi, le chapeau de cowboy, la veste de cuir marron et le ghettoblaster de « Devil’s Haircut » et l’inoubliable tee shirt à franges de « Sexx Laws ». Cette mise en abyme réjouira les fans…