Cette Song Of The Week, et c’est un hasard, honore une fois encore un couple fusionnel et atypique dans le rock. Après Mimi Parker et Alan Sparhawk de Low la semaine dernière, place à mes bien-aimés Lionel et Marie Limiñana, qui, associés à Laurent Garnier, viennent de sortir un road movie musical post-moderne aussi passionnant qu’innovant. « De Película ». Ce qui en espagnol signifie « comme dans un film » ou est une expression exprimant un contentement suprême un brin étonné, comme on dirait « c’est putain de bien… ».
On a affaire avec ce double LP à un véritable partenariat entre the Limiñanas et Laurent Garnier. Le duo de garage rock avait rencontré le DJ le plus emblématique de la scène française (non, ce n’est pas et n’a jamais été le regrettable David Guetta !) grâce à l’invitation de celui-ci pour qu’ils jouent au festival Yeah en 2017, festival co-animé par Garnier dans le Vaucluse où il réside depuis quelques années. Flattés et étonnés, les rockeurs catalans ont été surpris, en conversant avec leur hôte, de partager autant d’obsessions musicales, en premier lieu le krautrock de Can (leur voisin et camarade de jeu Pascal Comelade les y avait initiés), shamans allemands créateurs d’un rock répétitif aux longues structures amenant à la transe. Transe qui est quand même le but suprême recherché par l’électro de Laurent Garnier… Un premier échange artistique eut lieu sous forme d’un remix de Dimanche, l’excellent titre chanté par Bertrand Belin tiré de « Shadow People » (SOTW #145), suffisamment éloquent pour donner aux deux parties l’envie d’écrire ensemble. Les occupations de chacun (engagements pour Garnier, tournée pour les Limiñanas) repoussant ce projet aux calendes.
Il fallut donc un confinement pour que les compères travaillent ensemble mais séparément. Ça n’a pas été un problème, ces grands solitaires travaillant de toute façon seuls chez eux, Garnier dans le Vaucluse et le duo chez eux à Cabestany, dans les Pyrénées-Orientales (Il paraît que le couple Limiñana enregistre séparément, lui la nuit, elle le jour). Lionel avait écrit un scénario narrant la fuite en avant d’un couple de jeunes gens d’un bled du sud vers la Costa Blanca. Lui (Saul) est un jeune homme timide qui se réfugie dans les disques et les films, elle (Juliette) est une jeune prostituée au passé déjà lourd. Ils tombent fous amoureux et filent à tombeau ouvert vers le danger, les boîtes et la fête et brûleront leurs illusions au passage. Juliette larguera Saul sur l’aire de La Palme, les habitués de la route de l’Espagne reconnaîtront. Histoire haletante, cinématographique en diable, de película en somme. L’album en sera la bande son.
On aurait pu attendre de cette collaboration une embardée psychédélique sur beats techno. Il n’en est rien, Garnier racontant à qui veut l’entendre avoir résisté à la tentation du kick droit surpuissant typique de la techno pour lui préférer un travail en profondeur sur la texture du rock des Limiñanas, à coups de trucages électroniques, de nappes et de rythmes programmés venant gonfler le jeu très mötorik et résolument sans cymbales de Marie. La greffe prend si bien que jamais le rock des Limiñanas n’aura été si dansant. Les instrumentaux psychédéliques enveloppent et emmènent très loin, les morceaux où les narrateurs (Lionel et Laurent Garnier) racontent en un talk-over évidemment gainsbourien (sur le morceau Juliette en particulier, l’un des sommets de l’album) captivent. Et au beau milieu, deux chansons. Au début c’était le début, magnifique ballade, marque la participation désormais de rigueur sur chacun des projets des Perpignanais de Bertrand Belin, au timbre plus Manset et aux envolées plus Bashung que jamais. Que Calor accueille dans l’univers Limiñanas un ami de Laurent Garnier, le Franco-Chilien Eduardo Henriquez membre des groupes de rock Panico et Nova Materia. Edu, ici rebaptisé Edi Pistolas se présente comme l’ambianceur d’une folle soirée dans une discothèque de plage, quelque part sur la Costa Blanca. D’une voix très incarnée, il décrit comment Juliette met le feu à la piste, transcendée par la musique pendant des heures. L’implacable scansion rythmique avec tambourin autoritaire, les guitares bruitistes, les textures électroniques et le riff de Farfisa à la 96 Tears génèrent un mix irrésistible, une sorte de brûlot electro kraut garage qui devrait faire un malheur sur n’importe quelle piste. Hymne bouillant à l’hédonisme (« A medida que sube la temperatura del cuerpo, se hace dificil respirar » , à mesure que monte la température du corps, il devient difficile de respirer) qui laisse entrevoir la débauche et les excès.qui devront normalement s’ensuivre ! Imparable cocktail.
Ce qui est admirable avec les Limiñanas, c’est qu’à chaque nouvel album et sans aucunement déroger à leur sacro-sainte doxa musicale et stylistique, ils sont en constante évolution et maintiennent une qualité indiscutable dans toutes leurs créations. Cette osmose parfaitement réussie avec Laurent Garnier les propulse plus loin encore. Les Limiñanas sont un trésor national que le monde entier nous envie. Ne les ratez pas quand ils joueront près de chez vous !