SOTW #229 : Days Like These, LOW

La Song Of The Week que je vous propose n’est pas facile d’accès. Enfin, si, mais pas à tous les moments. Elle est construite en trois parties aux intensités très différentes, voire contradictoires, et pourtant elle reste parfaitement cohérente. Days Like These est une chanson du nouvel album de Low « HEY WHAT », et cet album ne ressemble à rien de connu. D’une radicalité absolue capable de faire fuir vos convives si vous le jouez pendant une réception, il rayonne pourtant d’une étrange beauté et pourrait très vite devenir un objet de culte chez beaucoup d’entre nous, amateurs de musique émotionnelle.

J’avais découvert le duo (alors trio) composé par le couple Alan Sparhawk et Mimi Parker en 2015 avec de leur onzième (!!!) album « Ones & Sixes » où figurait cette petite merveille d’indie rock remarquée sur une compil des Inrocks What Part Of Me (SOTW #70) où brillaient les harmonies vocales du duo, dignes de la meilleure country et où swinguait un groove lent marqué par une basse martelée et une guitare distordue dignes du meilleur Joy Division. Dans un patelin paumé du fin fond du Minnesota, Alan Sparhawk a demandé la main de sa petite amie de lycée Mimi Parker (et en même temps d’adopter sa foi mormone, elle accepta). En 1993, Sparhawk, guitariste demande à Mimi d’intégrer le groupe qu’il vient de former en tant que batteuse. Ils restent à Duluth (ville où naquit Bob Dylan), port du lac Supérieur et lieu où les éléments sont aussi déchainés que majestueux) et se plaisent dans cet exil familial (ils ont très jeunes deux enfants), bien éloigné des fracas du rock grunge qui fait alors rage aux Etats-Unis. S’ensuivirent de nombreux albums (et se succédèrent de nombreux bassistes) qui permirent à Low de mettre au point leur imparable formule de slowcore. Soit un rock lent, minimal et atmosphérique, inspiré par Joy Division (enfin, par la face B de « Closer », soit le versant le plus élégiaque du groupe de Manchester) et Brian Eno, mais enluminé par un travail vocal harmonique proprement divin. Les producteurs indie rock les plus prestigieux ont voulu travailler avec Low, que ce soit Dave Fridmann (Flaming Lips) ou Steve Albini et ont permis au groupe d’élever ce style jusqu’à une certaine perfection. Qui n’allait pas tarder à lasser Alan Sparhawk. Pour Ones & Sixes, ils travaillent pour la première fois avec BJ Burton, producteur du groupe d’indie folk Bon Iver, mais aussi de Miley Cyrus et de Taylor Swift (!) et la dextérité de ce dernier avec les outils de studio modernes allait autoriser à Low d’ouvrir très grand les fenêtres pour embrasser des aventures soniques inédites.

Deux albums, « Double Negative » en 2018 et le tout nouveau « HEY WHAT » rompent en effet radicalement avec le slowcore pour inventer un style bouillonnant, désorientant, parfaitement inédit. La texture sonore n’a en effet plus rien à voir avec un indie folk, aussi minimal soit-il, pour se transformer en un magma de distorsion, d’effets, des assauts électriques sauvages comme une tempête hivernale sur le lac Supérieur, se calmant soudain pour laisser place à des plages apaisées et planantes. Days Like These commence comme une simple chanson folk, les voix nues chantent une mélodie simple, rendue émouvante par les chœurs, experts comme toujours chez Low. Des accords de guitare intimistes font la liaison entre les deux couplets quand soudain s’abat une tornade de feedback qui tord tout, la guitare comme les voix, et ce traitement de choc franchement cathartique ne parvient pourtant pas à masquer la joliesse de la mélodie. Puis, comme une délivrance après cette sauvage agression sonique s’installe une longue coda où Mimi Parker répète le seul mot « Again » et lors de laquelle surgissent de délicats arrangements miniature, d’orgue ou de guitare qui procurent une sensation de paix, nous transportent dans une contemplation bienfaisante, voire béate.  Il y a, nul doute, de la spiritualité à revendre dans une telle composition où la beauté jaillit au milieu des décombres.

« HEY WHAT » est construit avec cette matière incandescente et abstraite. White Horses, le brûlot bruitiste à la structure cubiste qui l’ouvre est en plus le morceau le plus distordu et malaisant de l’album. On se surprend pourtant à y revenir. Des chansons plus apaisées comme I Can Wait et Disappearing sont plus aimables à l’oreille, créant un folk flottant aux limites floues assez séduisant. Le single (enfin, le mot est insignifiant tant cette musique ne passera jamais à la radio) More, chanté par Mimi est ce qui s’apparente le plus à une chanson rock, mais le son rêche lui confère une étrange singularité. Il faut attendre la dernière chanson, la longue et très belle The Price You Pay (You Must Be Wearing Off) pour retrouver des éléments familiers, comme une batterie et des accords de guitare plus conventionnels, pour autant rien n’y est évident. On ressort de l’écoute de « HEY WHAT » groggy mais bizarrement charmé, les voix n’y étant bien entendu pas pour rien, et on ne peut que saluer l’audace folle de ce duo (qui vient de retrouver un bassiste) refusant de s’installer dans une formule maîtrisée pour poursuivre toujours plus loin l’aventure… Chapeau !