La Song Of The Week est de retour après une longue trêve estivale poursuivie par une trêve de rentrée, plus longue qu’à l’accoutumée mais les temps troublés qui s’éternisent ne sont guère propices à la régularité de l’inspiration. De cet été très mouillé me restent quelques airs fugaces qui l’ont bon an mal an rythmé. Et si cette saison n’est pas la plus féconde au niveau des sorties de disques, j’aurai souvent écouté un album à l’ambiance très automnale (donc en parfait accord avec les cieux capricieux de juillet), Utopian Ashes, le side-project que Bobby Gillespie, le sémillant quasi-sexagénaire leader de Primal Scream, a concocté avec Jehnny Beth, artiste française multi-cartes de vingt-cinq ans sa cadette, chanteuse des rageuses Savages que tout le monde (Gorillaz, IDLES, Julian Casablancas, etc…) s’arrache…
Les deux chanteurs avaient une première fois uni leurs voix en 2015 à Londres lors d’un concert de Suicide, séminal groupe punk synthétique new-yorkais dont ils étaient tous deux grands fans. L’expérience fut suffisamment satisfaisante pour que Jehnny Beth soit conviée ensuite à monter sur scène avec Primal Scream. La politesse fut retournée à Bobby Gillespie quand Beth invita Primal Scream à jouer et à converser dans son émission diffusée sur Arte « Echoes with Jehnny Beth ». Cette complicité artistique engagée ne demandait qu’à s’épanouir, mais pas question de le faire d’une façon téléphonée. Plutôt que décliner un registre punk, kraut ou psychédélique, terrains où les deux artistes évoluent souvent, Bobby Gillespie a suggéré de faire de son premier album solo un album collaboratif avec Jehnny Beth le long duquel ils exploreraient un genre qu’il affectionne particulièrement, la chanson américaine à inflexions soul et country en duo mixte façon George Jones et Tammy Wynette ou Gram Parsons et Emmylou Harris. Utopian Ashes ne parle que d’érosion de l’amour par le temps et de désintégration du couple, les deux artistes s’étant inspirés de leurs histoires personnelles et de celles de leur entourage pour coucher des paroles aussi désespérées que lyriques, en parfaite adéquation avec un enrobage musical classieux, option ronce de noyer et exécuté avec grâce par les compères de Gillespie dans Primal Scream, Andrew Innes à la guitare et aux arrangements, Darrin Mooney à la batterie et Martin Duffy aux claviers, et par le partenaire musical de Jehnny Beth, le touche-à-tout français Johnny Hostile à la basse et aux arrangements.
En quelques sessions d’écriture à Paris et un enregistrement à Londres en 2018, les neuf chansons ont été vite bouclées mais la pandémie a retardé le fignolage de l’ensemble et donc sa sortie qui eut finalement lieu en juillet dernier. « Chase It Down » ouvre l’album de bien belle façon. Cette chanson, la plus groovy de l’album, aurait eu toute sa place sur l’album sudiste des Primals, ce Give Out But Don’t Give Up sorti en 1994, album certes inégal mais où Gillespie témoignait de façon désarmante son amour pour le rock des Stones des seventies et de Big Star, album enregistré en partie à Memphis, Mecque du rock sudiste gorgé de soul music. C’est dans cette veine Southern soul matinée de pop rock que se situe « Chase It Down », dans laquelle le narrateur enjoint son bientôt ex-amoureuse de vivre sa vie et de profiter de tout ce qui se présente, quand bien même ils se séparent. Sur de simples accords de guitare folk et des volutes de violons soul proto-disco s’élève la complainte de Gillespie (lequel, sans être un chanteur exceptionnel, s’améliore de disque en disque). Le refrain, qui donne à la chanson tout son peps, est laissé à la voix puissante et très personnelle de Beth. Le solo de guitare d’Innes est dans le registre blues-rock et n’aurait pas déparé sur « Movin’On Up », l’une des chansons emblématiques de Primal Scream. Et si cette chanson entêtante ouvre Utopian Ashes de bien belle façon, le reste de l’album est tout aussi remarquable. Que ce soit avec les merveilleuses ballades façon Memphis soul « Remember We Were Lovers » et « Your Heart Will Always Be Broken », où Jehnny Beth excelle et où les artistes se rapprochent au plus près de l’ambition de départ, la critique acide de la société anglaise sous forme de valse pastorale « English Town » (Gillespie reste un commentateur social très avisé), la pop folk sixties chaloupée à la Mamas and Papas de « Stones Of Silence » ou la très soul et cuivrée « Living A Lie », aucune faute de goût ne détonne dans cet album aussi solide que personnel et destiné à devenir disque de chevet.
Alors que Primal Scream va remonter sur scène pour fêter en grande pompe les trente ans de leur album emblématique Screamadelica, on peut douter qu’Utopian Ashes trouve une traduction scénique. On peut toutefois raisonnablement penser que Jehnny Beth rendra souvent visite à Bobby Gillespie, sur scène ou ailleurs…