Décidément, le cas The 1975 m’intrigue… Je l’avais déjà évoqué en présentant la chanson pop néo-bubblegum « TOOTIMETOOTIMETOOTIME » (SOTW #169) issue du troisième album du groupe mancunien « A Brief Inquiry About Online Relationships ». Pour mémoire, The 1975 s’est hissé au pinacle de la chose pop et rock outre-Manche et y est aujourd’hui l’un des groupes anglais les plus populaires aux yeux du public tout en étant très respecté par la critique, atteignant ce niveau de notoriété absolue que connaissent Arctic Monkeys pour comparer ce qui est comparable… The 1975 rencontre également un succès tout à fait remarquable aux USA. En France en revanche, tout juste a-t’il récolté quelques lignes assez condescendantes dans les Inrocks et pas une seule dans le reste de la presse spécialisée. Ce phénomène est quand même étrange, quand on sait que les critiques français ont l’art de dérouler le tapis rouge devant des artistes britanniques ou américains on ne peut plus confidentiels chez eux. Snobisme ? Un peu quand même mais il faut croire que the 1975 rassemble tout ce que les journalistes français n’aiment pas dans les groupes anglo-saxons…
Le chanteur et figure de proue Matty Healy n’est pas un personnage discret. Pin-up boy version crevette avec une inénarrable grande gueule limite tête-à-claques et un passé qui ravirait n’importe quel addictologue, il n’est pas homme à donner dans la réserve, quitte à se brûler les ailes avec des coups de force pas forcément très fins sur scène (genre aller rouler une pelle à un spectateur lors d’un concert à Dubai…) ou en se répandant dans des élucubrations souvent délirantes en interview (attention au syndrome Bono !). Le groupe derrière lui ne peut alors paraître qu’effacé. Pourtant, Matty Healy fait preuve d’une certaine vista quand il s’agit de musique, ses idées étant impeccablement traduites en termes de réalisation par le batteur du groupe George Daniel, lequel pourra toujours en cas de crise se reconvertir dans la production tant sa dextérité est manifeste. C’est d’ailleurs grâce à l’alchimie de ce binôme aussi complémentaire que différent que The 1975 est passé du stade de sensation pop emo au grand groupe proteiforme qu’il est aujourd’hui. Et des idées, il y en a pléthore dans le nouvel album sorti fin mai « Notes On A Conditional Form ». A la sortie de l’album précédent en 2018, Matty Healy avait clamé à qui voulait l’entendre que cette suite, qui avait déjà son titre, sortirait six mois plus tard. En fait, deux ans ont passé et il semble alors évident que la confection de « NOACF » n’a pas été si facile. Enregistré dans seize studios différents autour du monde pendant des pauses de tournée, cet album fleuve comptant pas moins de vingt-deux morceaux et durant une heure vingt part dans tous les sens. Le morceau d’ouverture, titré « The 1975 » comme dans chacun de leurs album est une purge atmosphérique encadrant un monologue de Greta Thunberg (Matty Healy est un homme concerné…), heureusement suivi par une embardée punk hardcore que ne renierait pas Fugazi (« People »). S’enchaînent ensuite des instrumentaux orchestraux ou électroniques ambient à la Brian Eno (qui les a d’ailleurs sollicités pour travailler avec eux), des ballades introspectives (« Jesus Christ 2005 God Bless America », rien que le titre fait peur), des chansons pop de premier cru (l’excellente « Frail State Of Mind » et sa rythmique dubstep, la mélancolique et folk « The Birthday Party »), une jolie déclaration d’amour d’Healy à ses musiciens sous forme de ballade pop du meilleur tonneau « Guys », des accents dancehall, des expérimentations synthétiques, des ambiances jazzy…
Le gros morceau de « NOACF », qui vient de se placer au sommet des charts anglais est une incongruité d’une monstrueuse efficacité et qui n’a pas peur de marcher sur la dangereuse crête entre très bon et très mauvais goût. « If You’re Too Shy (Let Me Know) » sonne comme si on avait recréé sous cloche le rock new-wave du début des 80’s dans les années 2020. Retour vers le futur. Après une intro planante où résonnent les vocalises éthérées de la chanteuse FKA Twigs, des accords de guitares noyées dans l’écho rappellent outrageusement un vieux tube de Tears For Fears (« Everybody Wants To Rule The World », l’analogie étant trop évidente pour ne pas être parfaitement calculée) laissent place à un implacable rythme mécanique gouverné par une basse synthé. D’héroïques arrangements, typiques d’une grande chanson de The 1975 (je pense à l’idéale « Love It If We Made It », sommet de l’album précédent) soulignent une mélodie aux gimmicks très accrocheurs (ah ! ce « All The Time » légèrement à contre-temps). Un solo de sax parfaitement ridicule et finalement bien vu clôt l’affaire. Chanson adressée à une fille remarquée sur un réseau social que le narrateur ne rencontrera jamais mais veut imaginer une relation idéale, « If You’re Too Shy » s’accroche à vos méninges irrémédiablement. Je ne parviens pas à déterminer si j’aime ce morceau ou si je le déteste, et c’est assez troublant. Rien que pour ce tour de force, car la chose a été clairement réfléchie, difficile de snober The 1975, combo autrement plus créatif et original que Muse ou Coldplay, qui cartonnent par ici… Je crains donc qu’enfin la France ne finisse par succomber…