J’ai beaucoup d’amis thuriféraires de Bruce Springsteen, fans jusqu’à l’os et prêts à assister à tous les concerts suffisamment proches pour pouvoir s’y rendre sans passer pour un malade obsessionnel. Ca n’a jamais été mon cas. Pourtant, je connais l’artiste américain depuis que je suis entré « en musique » sans pour autant avoir développé autre chose qu’un intérêt poli le concernant. Quelques chansons du Boss m’ont toutefois accompagné, je pense à « Fire », « Hungry Heart » et bien entendu à « Dancing In The Dark », l’une des chansons les plus émouvantes que j’aie entendues qui malgré sa production eighties tape-à-l’oeil atteint le sublime. Bien sûr, je respecte le story teller qui a si bien su être le porte-voix des exclus et outsiders de la société américaine, son indéfectible ancrage à gauche ainsi que le fan sincère de rock et de doo-wop qui du fond de son New Jersey banlieusard a su toucher un public international. Mais, à l’instar de Bob Dylan et malgré la sincère sympathie que j’éprouve pour lui et sa musique, Springsteen ne m’a jamais fait succomber. Tout comme la perspective d’assister à l’un de ses héroïques et généreux concerts pouvant dépasser les trois heures ne m’a jamais fait vibrer.
J’étais donc loin d’imaginer l’effet que l’écoute de sa nouvelle chanson me ferait. « Hello Sunshine » , entendue sur France Inter m’a saisi. Pour de bon. Le rocker de soixante-dix ans s’apprête à sortir un nouvel album solo (c’est à dire sans le E-Street Band), « Western Stars » pour lequel Bruce Springsteen aborde un style à la fois traditionnel et totalement novateur. En tous les cas inédit chez lui. Cette chanson rappelle un épisode crucial chez l’auteur-compositeur. Au début des années quatre-vingt, alors qu’il est déjà un totem du rock américain, Bruce Springsteen part seul pour un road-trip en Californie, afin de conjurer un état dépressif. Instantané sensible de cette fuite introspective, « Hello Sunshine » en est un moment suspendu. On imagine la country déversée au mètre à la radio qui rythme le long, interminable voyage. Les sonorités douces, enveloppantes du shuffle de caisse claire et de pedal-steel guitar nous emmènent directement vers ce genre musical intrinsèquement américain et souvent mal perçu par nos oreilles européennes. Les arrangements de cordes luxueux tout en étant jamais ostensibles nous renvoient à l’âge d’or de la chanson folk orchestrée californienne de la toute fin des sixties, celle de Glen Campbell, de Carole King, de Burt Bacharach et surtout de « Everybody’s Talking », ce chef d’oeuvre absolu signé Fred Neil, repris avec brio et émotion par Harry Nilsson en 1968 et chanson du film « Macadam Cowboy ». Si le reste de l’album « Western Stars » est du même tonneau, on aura sans aucun doute affaire à un classique instantané de la grande chanson américaine.
Adressé à une fille qui passe et qui ne s’attardera pas dans la fuite en avant du narrateur, « Hello Sunshine » est en effet un rayon de soleil au beau milieu des ténèbres de l’âme. Le pont, quand Springsteen se contente de fredonner la mélodie sur un lit de cordes somptueuses est juste magique et transmet une émotion à fleur de peau. A lovely song, comme aiment dire les anglophones, c’est exactement ça.