Cette semaine est sorti « Serfs Up! », troisième et nouvel album de Fat White Family et gigantesque pas en avant musical pour ce groupe remuant à la structure capricieuse. Je vous avais déjà parlé de ce gang de Brixton avec les irrésistibles tubes malgré eux « Touch The Leather » (SOTW #33) et « The Whitest Boy Of The Beach (SOTW #80). Mais ces excellentes chansons étaient les seules vers lesquelles on avait envie de revenir au milieu du magma sonore très déroutant, volontiers dissonant et bordélique et des chants disgracieux qui remplissaient le reste des deux premiers albums, « Champagne Holocaust » et « Songs For Our Mothers ». Sur scène, en revanche, la déglingue céleste et hédoniste de Lias Saoudi et ses petits camarades emportait l’affaire sans aucun problème, faisant de chacun de leurs concerts un pur moment de rock n’roll attitude mal élevée. Excellente surprise, « Serfs Up! » (en gros « debout les serfs ! » titre pied-de-nez au contenu politique parodiant le « Surf’s Up! » des Beach Boys, et se prononçant pareil…) se révèle un album particulièrement solide, et sans doute sera celui qui mettra Fat White Family sur orbite.
Pas que les garnements de Fat White Family se soient réellement calmés. Simplement, les principaux protagonistes ont un tant soit peu réglé leur problème un peu trop envahissant d’hédonisme forcené, la prise massive de drogue n’aidant pas vraiment à faire de bons disques… D’abord, le guitariste et compositeur principal Saul Adamczewski a été prié d’aller voir ailleurs, ce qu’il a fait en formant Insecure Men (voir l’interview parue dans ces colonnes). Mais même là, Lias Saoudi, chanteur et tête de proue incontestée de la Family était tapi dans l’ombre, l’aidant à écrire les textes. Ensuite Lias et son frère Nathan (qui s’est mis aux claviers et à l’écriture) se sont exilés à Sheffield, pour fuir les tentations londoniennes mais aussi car les loyers y sont beaucoup moins chers qu’à Londres, surtout pour monter de toutes pièces un studio baptisé ChampZone. S’ensuivirent six mois d’expérimentations un peu stériles, avant que le retour de Saul au bercail, lequel a apporté dans ses bagages son compère multi-instrumentiste d’Insecure Men, Ben Romans Hopcraft, ne débloque, et de quelle façon, la situation. Pas question cette fois-ci pour FWF de se cantonner à un style rock, fût-il garage ou kraut et place à l’envie de se frotter à des styles musicaux différents, de la disco à l’easy-listening en passant par l’indus, d’utiliser des cordes, du saxophones et des boîtes à rythmes, de multiplier les choeurs. Et de solliciter l’aide d’oreilles extérieures à la production, dont le vétéran Clive Langer. Le résultat a dû être assez probant pour qu’ils soient signés par le plus gros (et le plus cool) des labels indépendants, Domino. Et le fait est que « Serfs Up! » est un très bon album qui se laisse apprivoiser et apprécier, (vraiment) plus abordable tout en restant abrasif.
« Feet » qui ouvre l’album lorgne de manière très louche sur la piste de danse, avec cette boîte à rythmes antédiluvienne qui imprime un beat martial sur lequel résonne un choeur d’hommes façon armée rouge. Lias Saoudi égrène d’une voix lasse et grave des paroles abstraites mais percutantes et parfaitement incorrectes, parle t-il d’un réfugié, parle t-il de sexe anal, on ne tranchera pas mais l’idée est là. « Feet… Don’t fail me now » (Mes pieds… Ne me lâchez pas maintenant) est répété en mantra dans le refrain, comme pour se donner le courage de continuer. Les staccatos de violons, les bongos déchaînés, la basse groovy, on est bien ici dans un registre disco. Les guitares se sont faites comme dans le reste du disque discrètes mais sont bien présentes dans le final de « Feet », en solo distordu du meilleur effet. Et comme c’est fréquent avec Fat White Family, cette chanson a un potentiel tubesque évident et est contre toute attente très efficace. Ce n’est pas la seule belle surprise de « Serfs Up! », « Tastes Good With The Money » (qui compte le featuring du Prince de West London, Baxter Dury lui-même) mêle glam rock et choeurs grégoriens avec ironie, l’infectieux groove funk new-wave de « Fringe Runner » fait irrésistiblement bouger les hanches, « Oh Sebastian » est une charmante fantaisie orchestrale beatlesienne au contenu homo-érotique et « When I Leave » est une jolie déambulation art pop qui n’est pas sans évoquer Blur. On a donc très hâte de voir ce que ces morceaux rendront sur scène, ce sera chose faite au festival This Is Not A Love Song à Nîmes début juin.
En attendant, on se repaît avec une joie malsaine de « Feet » et de son clip ambigu qui convoque les fantômes de Jean Genet (la lecture privilégiée de Lias Saoudi pendant l’écriture de ce disque) revus par le sulfureux Rainer W. Fassbinder, avec ces scènes qui sont de pures citations de son adaptation de « Querelle », ce qui n’aura pas échappé aux (nombreux) amateurs de cet essentiel cinéaste.