On ne s’y attendait pas. Chris Cornell, chanteur de Soundgarden, s’est donné la mort la semaine dernière dans sa chambre d’hôtel après un concert à Detroit, à tout juste 52 ans. Voilà donc une nouvelle icône des nineties à rejoindre le royaume des cieux. Le rock américain a perdu une de ses voix les plus marquantes, et une de ses plus belles gueules. Profitons donc de cette triste nouvelle pour revenir sur « Superunknown », quatrième opus du groupe de Seattle, forteresse imprenable du courant grunge qui atteint son pic de popularité en 1994, année elle aussi marquée par le décès d’une autre légende locale dont on parlera sur ce site très prochainement. Moins rugueux que ces prédécesseurs, « Superunknown » est sans aucun doute l’album le plus accessible du groupe. A peine sorti, les radios s’affolent et passent en boucle les singles « Spoonman », « Fell On Black Days », et « Black Hole Sun ». Dans une interview à la télévision américaine, Dave Grohl décrit le son de ses compatriotes de Soundgarden comme « le croisement impossible entre The Beatles et Black Sabbath ». Bien vu l’ami, il faut dire que sur ce coup là, le batteur de Nirvana voit juste. On retrouve une noirceur propre au quatuor sur de nombreux morceaux de l’album, qui rappellent en effet les territoires défrichés par les pionniers du métal au début des années 1970. Sauf que Cornell et Kim Thayill ont un sens bien particulier de la mélodie. Cet amour des arrangements soignés et des refrains entêtants scandés par le frontman se marient parfaitement avec les riffs ténébreux brodés par Thayill. Il faut dire que la production de Michael Beinhorn (Hole, Violent Femmes, Red Hot Chili Peppers), puissante à souhait, rend plus que service aux compositions du groupe (« Limo Wreck », « The Day I Tried To Live »). On est au milieu des années 1990 et on n’a pas peur d’en mettre des tonnes. Avec une bonne dose de groove, Soundgarden gravent certains des riffs les plus mémorables d’une décennie placée sous le signe de montagnes d’amplis Marshall et de Gibson Les Paul baveuses. A l’écoute de cet album au son de mammouth (lancez « Mailman » et montez le volume, vous ne serez pas déçu), il est saisissant de voir à quel point cette scène grunge a pu être marquée par la grandiloquence des pionniers du hard rock vingt ans plus tôt. Il faudrait au moins quatre mains pour compter sur ses doigts les clins d’œil à Zeppelin, Sabbath ou Purple tout au long de ce disque culte. Étonnement, les Inrockuptibles ont snobé le beau brun et sa bande dans de leur récent hors-série sur les meilleurs albums de l’histoire du rock transatlantique, leur préférant des formations bien plus fragiles, tels que les néo-folkeux Bon Iver ou Sufjan Stevens. Sacrée injustice, quand on sait à quel point Soundgarden a participé à la renommée internationale de la ville de Seattle.
Année : 1994
Origine : Etats-Unis
Pépite : « Fell On Black Days »
Eat : Tartelette citron meringuée
Drink : Whisky Sour (bourbon, citron, sirop de canne)
Nick Royale a réussi son pari. Donner une seconde jeunesse aux morceaux poussiéreux de son groupe favori, The Sonic’s Rendezvous Band. Projet aux noms prestigieux, avec Scott Asheton (ex-Stooges) ou bien même Fred « Sonic » Smith (Monsieur Patti Smith et membre fondateur du Motor City 5), le groupe de Detroit n’a pas réussi à s’imposer sur le circuit proto-punk à la fin des années 1970, rapidement dépassé par la scène plus artsy du CBGB new yorkais. Vingt ans plus tard, Royale, frontman des Hellacopters et légende de l’underground européen convainc Scott Morgan, chanteur de la formation oubliée, de reprendre du service. Pour ce faire, il fait appel à Tony Slug, guitariste de The Nitwitz, un américain basé à Amsterdam qui connait bien l’ancienne gloire du Michigan. Rendez-vous pris en Hollande, les trois musiciens commencent à répéter et bookent trois dates histoire de voir ce que peut advenir de cette idée audacieuse. Six jours plus tard, le groupe a composé de quoi combler un set fait, en majorité, de vieilles chansons du Sonic’s Rendezvous Band, que personne n’a entendu en live depuis bien longtemps. Il faut dire que la formation de Scott Morgan était un véritable groupe de scène et hormis le mythique single « City Slang », le quatuor n’a pas immortalisé son rock électrique en studio. Voilà désormais chose faite avec « Parts Unknown », qui voit Scott Morgan finalement enregistrer certaines de ses compositions plus de vingt ans après leur écriture. On retrouve par exemple les excellentes « Earthy », qui sent bon le garage punk des pionniers, et la très soul « Getting There (is Half The Fun) » et son changement de tempo ravageur. Malgré un certain goût pour les spiritueux et des années d’absence devant un micro, Scott Morgan n’a rien perdu de sa voix chaude. Ce grand fan de musique noire, qui s’est fait un nom avec The Rationals pendant les sixties, a ce timbre de voix soul qui colle à merveille au jeu de guitare punk blues de Royale (« Runaway Slaves »). Il faut dire que le suédois se réjouit de prêter main forte à son idole, rendant ainsi un hommage plus que mérité au son de Detroit. Hargneux, rapide, enjoué, « Parts Unknown » plonge l’auditeur dans un univers musical fascinant logé au croisement du punk rock et de la soul music. Imaginez les Stooges en train de reprendre les plus grands tubes du catalogue de Tamla Motown (« Nailed », « Get It Together »). La décharge sonore est de taille, le défi aussi. Pourtant, « Parts Unknown » n’en est pas loin. Un disque d’antiquaire du rock, qui mérite néanmoins de figurer parmi les œuvres les plus saisissantes de la riche carrière du gourou suédois et de ses acolytes du Midwest.
Année : 1999
Origine : Etats-Unis/Suède
Pépite : « Getting There (Is Half The Fun) »
Eat : Gaufre au caramel
Drink : Blue Lagoon (vodka, curaçao, citron vert)
Un groupe fun. Voilà comment on pourrait présenter Fu Manchu, formation estampillée rock burné depuis près de trente ans. Oui, cela fait trois décennies que le groupe originaire d’Orange County, comté ensoleillé situé au sud de Los Angeles, pond des albums racés à faire rentrer le headbanging aux prochaines olympiades. Sorti en 2001, « California Crossing » reste le disque le plus solide de la discographie du combo emmené par Scott Hill. Aficionado des riffs crétins et des refrains monolithiques, Hill est l’architecte du son de Fu Manchu. Fan invétéré des dinosaures du hard rock à papa, on parle ici d’AC/DC, Motörhead, et KISS, Hill façonne des titres colossaux, d’une simplicité déconcertante et d’une efficacité rare. Signé chez Mammoth Records (rien n’a été laissé au hasard), Fu Manchu dégraisse le heavy rock comme Margaret Thatcher a démantelé le service public britannique. Pas besoin de s’embêter avec des fioritures, le groupe fait dans le rock d’hommes de croc-magnon et ça fonctionne à merveille. Sous sa magnifique pochette, « California Crossing » abonde de riffs à vous donner envie de revendre votre Clio 2 pour investir dans un mur d’amplis à lampes et des pédales fuzz. Les hostilités démarrent avec « Separate Kingdom » et son refrain colossal. Sur la face A du disque, on retrouve « Mongoose », déjà présente sur l’album « Eatin’Dust » sorti deux ans auparavant. Cette nouvelle version, encore plus abrasive que l’originale, est un concentré de ce que Fu Manchu a fait de meilleur. Un riff crétin, une cloche qui annonce l’entrée d’une ligne de guitare aussi lourde que chaude, avant que le tout se transforme en un hymne de heavy rock à écouter à balle le pied au plancher dans une vieille caisse américaine en faisant transpirer l’asphalte poussiéreux d’une autoroute déserte. On retrouve cette salve d’énergie sur « California Crossing » et son riff plein de testostérone. Oui, à l’instar de ses contemporains tout droit sortis du désert californien, Fu Manchu ne fait pas dans la dentelle. Cette chanson, plus gros son du groupe de la côte ouest, a d’ailleurs tapé dans l’œil des ingénieurs d’Activision qui décident de l’inclure dans la bande son du jeu vidéo Tony Hawk Underground. Pas mal pour une bande de renégats ne jurant que par les grosse bagnoles et le son rétro des vieilles pédales de distorsion. Mention très spéciale pour « Squash That Fly », qui aurait très bien pu rejoindre la chanson éponyme de l’album au rang des titres les plus ravageurs jamais sortis de Californie du Sud. Une leçon de rock n’roll dans ce qu’il y a de plus primaire. Voilà donc un disque baraqué, robuste, qui ravira n’importe quel fan de guitare électrique porté sur la puissance et l’intensité de son instrument. Du lourd.
Année : 2001
Origine : Etats-Unis
Pépite : « Mongoose »
Eat : Enchiladas
Drink : Tequila blanche citron vert