Dans l’imaginaire de l’intellectuel français abonné à Marianne et friand de films de la nouvelle vague que seul lui semble capable de comprendre, Aerosmith est une des pires choses qui soient arrivées à la musique contemporaine. Et faut dire que le gang de Boston n’a pas fait que du bon. Pourtant, au début des 1970s, le duo Steven Tyler-Joe Perry était l’équivalent outre-Atlantique de la paire Jagger-Richards. A cette époque, pas de refrains sucrés à faire parader des bimbos dénudées dans des halls de centre commerciaux. Les « glimmer twins » comme les surnommaient la presse musicale américaine puaient le danger et la luxure. Après un premier album très brut, Aerosmith s’entoure de Jack Douglas et Bob Ezrin, artisan du son de KISS et d’Alice Cooper, pour produire son deuxième opus. Sans perdre ses racines blues rock, Aerosmith lorgne désormais sur le glam. Influencé par les New York Dolls et la scène britannique (Slade et David Bowie en tête), Aerosmith joue les hardos transgenres, maquillés comme des bagnoles volés. Sexy, violent, agressif, « Get Your Wings » est un disque urgent au son unique ; un voyage dans les bas fonds d’une Amérique urbaine qui se cherche une sexualité hybride. Tyler mise d’ailleurs tout son physique androgyne, laissant le soin à Joe Perry de tricoter des perles blues rock à coups de riffs aiguisés (« Same Old Song and Dance », « Lord of the Thighs », « Woman of the World »). La touche glam fonctionne, et ça s’entend nettement sur « Spaced » et son clavier boogie, ou la proto-punk « S.O.S. Too Bad ». Disque résolument sombre, nocturne, aux frontières du hard rock, « Get Your Wings » reste un des ces albums clés de l’histoire du rock bien souvent méconnus. « Pas de promo, pas d’interview, pas de chronique dans la presse » se souvient Perry dans son autobiographie. Voilà pourquoi plus de quarante ans après, on continue tristement de prendre Aerosmith pour une arnaque.
Année : 1974
Origine : Etats-Unis
Pépite : « Same Old Song and Dance »
Eat : Burger King’s cheeseburger
Drink : un verre de mauvais Brandy
Leicester City Football Club sait que ses fans les plus fidèles ne sont pas les hordes de hooligans venus fêter le titre de champions d’Angleterre l’été dernier. En effet, avant cet éphémère succès footballistique, la ville des Midlands était déjà connus des amateurs de rock anglais. Tout ça grâce à qui ? Kasabian, évidemment. En 2009, le groupe qui a vu le jour dans cette cité industriel considérée comme un des trous les plus pourris d’Angleterre, sort finalement son troisième album : « West Ryder Pauper Lunatic Asylum ». Sapés comme des nobles Britons s’en allant en guerre contre les troupes napoléoniennes, les bad boys de Leicester réinvente le dandysme made in Albion avec un swag et une classe que l’on avait pas vu depuis les Stones de Beggar’s Banquet (les Libertines ont presque réussi, mais avec moins de burnes). Présenté comme le meilleur nouveau groupe anglais depuis que Pete Doherty flirte avec la correctionnelle, Kasabian confirme enfin son statut avec des hymnes épileptiques (« Underdog », « Swarfiga ») et des refrains à faire chavirer toute une tribune de Wembley (« Where Did All The Love Go », « Fire »). Sergio Pizzorno, homme le plus élégant du Royaume, se sent tellement puissant qu’il s’essaie même au gypsy rock. Et ça fonctionne : « Take Aim » et « Thick As Thieves » prouvent à tous ses détracteurs que Kasabian à autant à voir avec Keith Richards qu’avec les Happy Mondays. Halluciné, hallucinant, le chanteur Tom Meighan contraste à merveille l’image de dandy victorien de son acolyte aux origines ritales. Dans la tradition d’un Liam Gallagher sous acide, Meighan crache son flow sur des beats électro-rock survitaminés (« Vlad The Impaler »). Avec ce troisième album, Kasabian sort du pub et fait son entrée au stade. Le cock rock anglais ne s’est jamais aussi bien porté.
Année : 2009
Origine : Royaume-Uni
Pépite : « Underdog »
Eat : Toasts au caviar
Drink : Side car cocktail (Cognac, Cointreau, jus de citron)
Au début des années 2000, deux groupes crèvent l’écran lors des MTV Awards. Sur le plateau, The Hives et leurs cousins australiens The Vines mettent le feu à la cérémonie et enterrent une demi-décennie de new metal et de musique d’ascenseur façon Coldplay à grands coups de riffs et de beuglements éraillés. Le rock à guitare est de retour, les jeans cigarettes troués et les cheveux gras redeviennent le summum de la coolitude dans la cour du lycée. Écouter The Vines en 2002, c’était la grande classe, un moyen de se distinguer de la masse boutonneuse qui ne jurait que par Limp Bizkit, Korn et autres immondices. Ce premier album du groupe de Sydney, c’est une aventure sonore entre grunge et pop psychédélique, le tout joué par une bande d’adolescents hirsutes et arrogants. Imaginez Paul McCartney et John Lennon qui s’incrustent à une répétition de Mudhoney. Emmenés par un frontman tête à claque atteint du syndrôme d’Asperger, The Vines séduit par sa fougue électrisante (« Highly Evolved », « Get Free », « Ain’t No Room ») et ses ballades planantes (« Homesick », « Mary Jane »). On est en 2002, et pourtant, on a l’impression qu’on assiste à la rencontre des sixties et du penchant punk de Nirvana (« Outtathaway »). Nombreux s’y sont risqués depuis (pensez à Cage The Elephant, notamment) mais on doit se rendre à l’évidence, on ne fera plus des groupes comme The Vines, nihilistes dans l’âme et complètement allumés sur scène. A réécouter cette fraîcheur juvénile, je prends soudain un coup de vieux et me dis que la vie, c’était quand même plus marrant à dix-sept qu’à trente ballets. The Vines vous fait cet effet là, et ça ne fait pas toujours plaisir.
Année : 2002
Origine : Australie
Pépite : « Highly Evolved »
Eat : Cookies au chocolat blanc
Drink : Label 5 Coca-Cola