On l’attendait au printemps, il est arrivé à l’automne. Après un album remarqué sorti l’année dernière issu d’une collaboration avec la grungeuse australienne Courtney Barnett, Kurt Vile nous revient avec « Bottle It In ». L’artiste, qui a le vent en poupe depuis le succès largement mérité de « B’lieve I’m going down » (2015), continue son bout de chemin sans changer quoi que ce soit à son rock planant teinté de ballades folk ténébreuses et d’arpèges de guitare pleins d’écho. A bientôt quarante ans, l’Américain aura en effet tout connu : membre fondateur de The War on Drugs, étoile montante du rock indépendant, puis auteur d’un hit rock repris en boucle sur les radio campus outre-atlantique (« Pretty Pimpin’ ») et première partie sur la tournée de Neil Young au Canada.
« Bottle It In » commence fort. « Loading Zone » a tout pour être l’hymne de l’automne, une saison qui se marie si bien à l’ambiance ténébreuse de Vile. Nous voilà directement téléportés sur une route de campagne en Pennsylvanie, l’autoradio à fond, traçant notre chemin entre zones commerciales bouillonnantes, banlieues résidentielles endormies et forêts aux tons orangés. Les chœurs viennent renforcer cette ode à la liberté typiquement ricaine. Kurt Vile se gare gratos (« I park for free! » scande-t-il de façon plus que convaincante) et on n’en doute pas une seconde. Après trois minutes dans le disque, on se dit qu’on est pas loin de la verve de l’album précédent. Changement de tempo sur « Hysteria », ballade introspective aux guirlandes de guitares électrique parfaitement ficelées. Vile accélère une nouvelle fois la cadence sur l’excellente « Yeah Bones » avant de nous faire voyager avec une complainte psychédélique de neuf minutes.
Il y a absolument tout ce qui fait la renommée de Kurt Vile sur « Bassackards » dont le clip fait un véritable tabac sur la toile. Un ton mélancolique, entre Lou Reed et Leonard Cohen, un beat solide taillé pour l’asphalte, des arpèges envoûtants laissant place à des sonorités plus expérimentales sur la fin du morceau. Et comme d’habitude, la chanson n’explose jamais, laissant l’auditeur dans une espèce d’attente jamais comblée. On retrouve cette même structure sur le morceau éponyme de l’album, long de plus d’une dizaine de minutes. Il faut attendre l’avant dernier morceau, « Skinny Mini » pour que le Vile vienne casser ses comptines à coups de tonnerre de guitare pleine d’électricité. Le rendu est tout bonnement magnifique.
Blues insolent, « Check Baby » rappelle le rock ravageur de titres comme « Puppet to the man » (2011) ou « Hunchback » (2009). Il y a du Velvet Underground et du Jagger dans ce titre lourd et racé. Kurt Vile fait couiner sa Fender Jaguar avec un phrasé qu’il lui est totalement unique. On appréciera également la brumeuse « Cold was the Wind » aux limites du hip hop. Des licks de bottleneck viennent habiller cette ballade à la rythmique monotone. Le banjo de « Come Again » amène un peu de fraîcheur dans cet album monolithique. Directe et sans fioriture, le titre aux accents country bénéficie d’une touche féminine qui double la voix plaintive de Vile. En effet, le kid de Philadelphie s’est entouré de Kim Gordon (Sonic Youth), Stella Mozgawa (Warpaint) et l’harpiste Mary Lattimore pour immortaliser son septième album.
Comme un hipster à l’approche de la quarantaine, Vile se questionne sur des années de vie bohémienne faites de gueules de bois à répétition, évoque la paternité et l’amitié avec sensibilité, et continue une longue introspection commencée dès son premier album il y a dix ans. Si « Bottle It In » arrive à subjuguer l’auditeur par ses quelques moments de grâce, il lui manque néanmoins la consistance de « Wakin On A Pretty Daze » (2014) et « B’lieve I’m Going Down » et la fougue insolente de « Childish Prodigy » (2009). Le chevelu à chemises à carreaux semble être entre deux moments charnières de sa carrière. Sans décevoir, on se dit que le prochain opus devrait sûrement confirmer les tentatives intéressantes entrevues tout au long des soixante dix huit minutes de cet album au combien corpulent.
Kurt Vile est actuellement en tournée en Europe et passera par Rock School Barbey à Bordeaux dimanche 28 octobre (complet) et La Cigale à Paris lundi 29.