Qui aurait cru que le shot de rock n’roll du moment nous soit administré par un groupe de cinquantenaires bien installés dans le paysage musical britannique depuis trente ans? Le nouveau single de Suede, qui annonçait « Autofiction » neuvième album sorti la semaine dernière est pourtant l’une des choses les plus revigorantes à écouter dans le style rock flamboyant, mélodique, nourri de glam et de pop et faisant immanquablement danser ou taper du pied. Et si She Still Leads Me On n’invente rien, cette irrésistible chanson nous rappelle pourquoi nous avons tellement aimé le rock.
Suede est un groupe qui a connu plusieurs vies. La première, indiscutablement la meilleure, vit le groupe du sud de Londres devenir le « hot ticket » de la presse britannique en 1992, quand ils devinrent la promesse d’un retour du rock à guitares à panache outre-Manche, à un moment où tout le monde là-bas semblait avoir revendu ses six-cordes et amplis pour acheter des synthés et des ordinateurs. Trait d’union entre le grunge américain et la future britpop, Suede se positionnait comme une alternative séduisante, nourrie par les Smiths et par Bowie et proposait un duo de leaders et d’auteurs-compositeurs impeccables en les personnes du fabuleux guitariste et arrangeur Bernard Butler et du chanteur androgyne à l’impressionnante tessiture Brett Anderson. Le premier album fit un carton (Animal Nitrate, un de ses hymnes, est la SOTW #64). Le second « Dog Man Star » est un chef d’œuvre absolu, follement ambitieux et démesuré dont l’accouchement se fit dans la douleur et conduisit à la brouille fatale entre les deux leaders, Bernard Butler débranchant sa guitare en 1994.
En recrutant le jeune guitariste Richard Oakes (seize ans à l’époque) et le claviers Neil Codling, Anderson flanqué de sa section rythmique composée de Mat Osman (basse) et Simon Gilbert (batterie) mit en place Suede 2.0 et en fit un groupe d’une rare efficacité pop comme le démontre l’album « Coming Up » en 1996. Comprenant une collection de tubes imparables comme Trash, Filmstar ou la merveilleuse ballade Saturday Night, il souffre d’une production métallique sonnant un peu datée, mais l’album reste toutefois hautement recommandable aujourd’hui. S’ensuivirent des excès hédonistes et des périodes de contrition qui donnèrent des disques plus inégaux (« Head Music ») voire complètement anodins (« A New Morning », très blême) qui conduisirent au split du groupe en 2003. Brett Anderson se lança dans une carrière solo très confidentielle, tâtant d’une folk acoustique très pastorale aux antipodes de ses extravagances avec Suede. Une reformation pour un concert en 2010, un nouvel album très réussi « Bloodsports » en 2013 célébrant les retrouvailles du groupe avec le producteur historique Ed Buller replacèrent Suede au centre de la chose pop rock. Avec en plus cette touche de nostalgie qu’éprouvent tous ceux qui se voient replongés dans leurs jeunes années de fan, la mélancolie diffuse émanant des mélodies et de la voix de Brett Anderson n’y étant pas pour rien.
Après deux albums plus sophistiqués avec thèmes sombres et arrangement orchestraux (What I’m Trying To Tell You est la SOTW#88), le fringant quintette de quinquas a tourné le hit album « Coming Up » sur les scènes du monde entier, de quoi redonner à Anderson de saines envies d’électricité et d’émotions directes, qui se concrétisent tout au long du tout récent « Autofiction ». Banger qui ouvre l’album, She Still Leads Me On évoque paradoxalement la mère de Brett Anderson, décédée alors qu’il était très jeune. Sans aucun pathos mais avec une émotion très crue, il raconte combien le souvenir de sa mère l’inspire et l’aide à certains moments de sa vie, lui insuffle une énergie créatrice. Un riff de guitare en arpège, un contrepoint en saccades punk, une basse mélodique et une batterie volubile donnent le ton d’une chanson très traditionnellement bâtie: couplet, pont, refrain, couplet, pont, refrain, chorus, refrain shunté. Le tout à bride abattue, avec une mélodie vocale infectieuse surtout pendant le pont si énergique et des giclées de larsen mal peignées pour dynamiser le tout. Dire que ça fonctionne est un piètre euphémisme, tant la chanson et ses arrangements restent vissés dans votre cervelle. Si l’autofiction est un genre littéraire en soi, elle trouve avec Suede une incarnation musicale. En revisitant le style pop glam scintillant qu’ils personnifiaient à l’époque de « Coming Up » mais en l’observant avec leurs yeux de musiciens de cinquante ans, Suede met en musique une mise en abyme jamais ringarde ni hors de propos. Ainsi,That Boy On The Stage, Personality Disorder et 15 Again, irrésistibles bangers ressuscitent le Brett Anderson de 1992 sans jamais sombrer dans la parodie. Avec What Am I Without You ?, les musiciens de Suede prouvent une fois encore qu’ils sont orfèvres en ballades émotionnelles et nerveuses. Le reste de l’album est au niveau. Les amateurs de pop rock flamboyant seront bien inspirés de ne pas passer leur chemin…