SOTW #237 : I Love You, I Hate You, Little Simz

A l’heure où le rap est la musique commercialement parlant la plus populaire et où les stars du genre sont devenues les personnalités les plus suivies, dont les frasques sont les plus commentées (pensons à Kanye West ou plus localement à Booba), où la surenchère médiatique les concernant devient tellement caricaturale qu’ils en deviennent insupportables, il est rafraîchissant de tomber au hasard d’une programmation radio sur Little Simz. La jeune Anglaise d’origine nigérianne Simbi Ajiwako possède à vingt-sept ans tous les atouts pour devenir l’une de ces stars, sauf que sa réserve toute britannique et sa classe naturelle indiscutable ne sauraient lui offrir les premières pages des magazines à scandale… Qu’elle en soit louée.

Je vous avais déjà présenté celle que je tiens comme la meilleure rappeuse du moment. Je l’avais découverte en première partie de Gorillaz (voir #SHOT) et Selfish, extrait de son excellent second album « GREY Area » a été la SOTW #190. En 2021, elle est revenue avec un album en technicolor « Sometimes I Might Be Introvert » (on remarquera l’acronyme délicatement nombriliste SIMBI, prénom de la dame).  Titre qu’on peut supposer ironique, tant cet album est extraverti musicalement parlant. Secondée par son fidèle ami et producteur Inflo, Simz a ouvert la porte de son hip hop rêche et organique à des arrangements et orchestrations larger than life qui auraient pu illustrer des péplums ou de comédies musicales de l’âge d’or d’Hollywood, torrents mélodramatiques et cinématographiques de cordes, de chœurs  et de cuivres qui auraient pu figurer dans les disques de soul satinée de Curtis Mayfield ou dans la Philly Soul proto-disco de MFSB ou des O’Jays. Cette luxuriance orchestrale est particulièrement présente dans les interludes entre les chansons de cet album dense et charnu, mais aussi dans la chair des chansons, toutes assez formidables. Pour autant, la rythmique reste sèche et le hip hop de Simz, typiquement britannique même si cette fois-ci les apports reggae et « musiques urbaines » made in the UK sont moins présents,  est toujours urgent, frondeur, sur la brèche. Le flow, plus que jamais impétueux ne s’embarrasse pas de coquetteries et frappe droit et dur. « Sometimes I Might Be Introvert » est enfin d’une grande variété musicale, comme « GREY Area » l’était, mais Simz et Inflo déroulent ici un éventail très large qui embrasse le funk, la soul, le grime (c’est comme ça qu’on appelle ce rap typique d’outre-Manche) mais aussi la pop 80’s (l’intégralement chanté Protect My Energy), l’afrobeat (Point And Kill, en duo avec le chanteur nigérian Obongjayar), voire la pop orchestrale opératique (Miss Understood). Sans parler du tube soul rap Woman, où apparaît la voix flûtée de l’amie Cleo Sol et de la remarquable pièce d’ouverture Introvert, où telles les trompettes de Jéricho les riffs de cuivres dressent un décor de péplum pour laisser place à un délicat motif de guitare folk sur lequel le rap incisif de Simz fait merveille. On notera que si Simz honore toujours le grime avec des morceaux funky et minimalistes (Speed et Rolling Stone, de la balle…), elle ne succombe jamais aux modes américaines, ne touche pas à la trap music, refuse toute utilisation de l’AutoTune et ne gaspille pas son talent en featurings inutiles… N’empêche, « Sometimes I Might Be Introvert » est un album de rap aussi important que le « My Beautiful Dark Twisted Fantasy » de Kanye West, album avec lequel il partage la luxuriance et la grandeur.

I Love You, I Hate You est problablement la chanson la plus personnelle d’un disque très incarné, car Little Simz évoque ici ses relations avec sa famille, pas simples apparemment… Sur un sample de voix soul vintage qui scande I Love You, elle répond « Sometimes », I Hate You « Always », I Love You, « Right Now »… Cette chanson fait le pont entre les deux pôles qui caractérisent les arrangements de cet album, entre une rythmique hip hop assez rêche avec une basse vraiment fat et des arrangements luxuriants de cuivres et de cordes avec chœurs funky. Et c’est une vraie réussite, tant l’ensemble est accrocheur. Chanson importante car elle est le prétexte à un court-métrage réalisé par l’artiste… Si avec tout ça Simbi Ajiwako ne devient pas dans le coeur du public la rappeuse la plus essentielle depuis Lauryn Hill, c’est à désespérer !

I Love You, I Hate You, le film :