SOTW #238: La Nostra Fine, Andrea Laszlo de Simone

Le public peut de nouveau assister aux concerts debout et bientôt on devrait pouvoir ôter son masque, inutile d’ajouter que la fin des mesures restrictives pour le spectacle laisse envisager un retour à la vie « normale ». Paradoxalement, je me suis replongé cette semaine dans un album, ou plutôt un EP car il ne contient que quatre chansons, qui m’avait littéralement accompagné pendant le premier confinement, pendant mes rêveries en réclusion ou dans les écouteurs pendant mes balades circonscrites dans leur kilomètre. « Immensità », OVNI musical chanté en italien et commis par un certain Andrea Laszlo de Simone, alors totalement inconnu de mes services, est, annonçons-le en préambule, chef d’œuvre absolu de pop progressive, preuve en est que je ressens la même émotion océanique en le réécoutant deux ans après, non pas par hasard mais parce que j’en éprouve le besoin.  

La chanson italienne a eu beaucoup de succès en France, en particulier dans les années soixante et soixante-dix, avant d’être unilatéralement supplantée par la pop anglo-saxonne. La politique des quota de musique chantée en français sur les radios et télévisions réduisant drastiquement l’exposition des chansons non françaises ni anglophones et sonnant le glas du succès de celles interprétées dans d’autres langues. Je me souviens qu’enfant, le slow langoureux et souvent hypercalorique en italien passant à la radio était monnaie courante, ça allait bien avec la torpeur de l’été au bord de la mer… Andrea Laszlo de Simone ne boxe pas dans cette catégorie, il évoluerait plutôt dans celle de Lucio Battisti ou de Pino Daniele, auteurs-compositeurs exigeants et reconnus internationalement. Né il y a trente-six ans ce 18 février à Turin d’un père calabrais féru de jazz et d’une mère venue des Pouilles goûtant la musique classique, Andrea Laszlo apprend à jouer de la musique avec son frère qui aimait le rock mais ne se réclame aujourd’hui d’aucun mouvement particulier, confessant même son incurie totale en la matière. Et même s’il n’avait jamais envisagé de faire de la musique son métier, il est évident qu’elle l’habite. Totalement. Multi-instrumentiste créant et confectionnant sa musique seul (il avait participé à un duo de rock avec un ami à la fin de l’adolescence et ce fut sa seule aventure partagée), il sort un premier album « Ecce Homo» en 2012, puis un second « Uomo Donna » en 2017, trahissant par les titres sa seule obsession, son seul véritable intérêt qui réside en la chose humaine. Le quatre-titres « Immensità », que son créateur considère comme un véritable album arrive en 2019, vingt minutes d’extase musicale avec du sens. Comme il l’explique aux Inrockuptibles lors d’une interview donnée avant son concert aux Transmusicales de Rennes en 2021 : « C’est l’histoire de la vie, de la renaissance. Le premier chapitre (« Immensità »), c’est le moment de la journée ou de ta vie où tu es positif, car tu penses que tout est possible. Puis arrive le deuxième chapitre (« La nostra fine » où la réalité te surprend, tu comprends que ce n’est pas vrai, que tout n’est pas possible. C’est douloureux… Tu te sens perdu et là, c’est le troisième chapitre (« Mistero »). Le quatrième (« Conchiglie ») étant la renaissance, qui te porte jusqu’au rêve. Moi ce sont mes enfants qui me permettent de renaître. ». Le propos, même si on ne comprend pas bien la langue confère une universalité bien humaine aux chansons d’Andrea Laszlo de Simone.  

Immensità a les atours de slow estival avec chœurs féminins angéliques, voix filtrée et rythmique bien marquée avec arrangements mêlant cordes, claviers électroniques et guitares, mais la mélodie évite toute mièvrerie et donne même sensuellement envie d’inviter quelqu’un à danser. La Nostra Fine, sans doute la perle mélodique de l’album est introduite par un rythme galopant de tambours et un riff de cordes qui s’estompent pour laisser le chant s’exprimer sur une guitare au son de luth, l’emphase des cordes et les distorsions électroniques soulignant le refrain avant que des chœurs célestes lancent une coda avec cuivres et cordes, tout cela ne sonnant jamais lourd ou emprunté. Cette chanson est simplement sublime et on aura plaisir à la chantonner sans retenue. Mistero est une lancinante pièce sombre et romantique à la rythmique heurtée tournant comme un carrousel, à la noirceur aérienne assez ensorcelante. Un bruit de vagues se brisant sur la grève introduit Conchiglie (coquillages), introduisant un simple arpège de guitare acoustique où s’installe la voix douce et sensible d’Andrea Laszlo, installant un ostinato où vont s’agréger orgue, cordes baroques et chœurs qu’on jurerait religieux. Le groupe « rock » rentre enfin après le break et flanque les frissons avant de s’estomper pour ouvrir la chanson à une coda avec trompettes dissonantes et chœurs grandioses. Pop progressive très  accueillante et directe malgré la sophistication des arrangements, grâce à l’universalité des compositions. Ce n’est pas si courant dans ce genre musical.

Andrea Laszlo de Simone raconte aux journalistes qu’il ne fera plus de concerts. Que ceux des Transmusicales étaient les derniers. Qu’il continuera à enregistrer des disques car c’est son métier mais qu’il s’installera au bord de la mer pour voir grandir ses enfants. Il a sorti deux singles épatants depuis, Dal giorno in cui sei nato tu (depuis le jour où tu es né, dédié à son nouveau-né de fils) et Vivo, en attendant un futur album. On espère toutefois que cette fracassante déclaration n’aura été qu’un coup de communication, car les heureux spectateurs des deux concerts de Rennes ont été subjugués par l’intensité scénique de cet homme chevelu et moustachu aux faux airs du Frank Zappa des seventies et par un groupe (avec cordes et chœurs) en état de grâce. On a alors de mal à croire qu’il renonce définitivement à vivre ce genre d’extase, tout en ayant bien compris qu’Andrea Laszlo de Simone n’est décidément pas un artiste de pop banal !