Wunderkind de la pop britannique, Declan McKenna a dû ronger son frein avant de présenter à la terre entière son second album « Zeros » qu’il avait enregistré à Nashville pendant cinq semaines avant le confinement et dont il est très fier, sa maison de disque ayant décidé d’en reporter la sortie. Et s’il en avait déjà présenté quelques chansons lors de festivals en 2019, pas grand chose n’aurait pu laisser présumer que ce très jeune homme de vingt-et-un ans allait pondre l’un des albums pop rock les plus intéressants de l’année…
Benjamin d’une famille très artistique de six enfants établie à Cheshunt, petite ville du Hertfordshire au nord de Londres, Declan McKenna s’est nourri de la musique qu’écoutaient ses frères et soeurs avant de sérieusement vouloir en faire lui-même et écrire des chansons. Il n’avait pas seize ans quand il a balancé sur Bandcamp sa chanson « Brazil », impeccable composition aux atours indie avec son riff de guitare et sa mélodie à la Arctic Monkeys des débuts où le lycéen spécialité sociologie taclait avec pertinence le monde corrompu du football… Succès immédiat outre-Manche qui voit le jeune homme se faire courtiser par toutes les maisons de disques, puis enregistrer un premier album « What Do You Think About The Car ? » en 2017, réalisé par James Ford (Arctic Monkeys). Premier effort qui cartonne, Declan McKenna se retrouvant un peu malgré lui porte-parole d’une génération paumée et laissée pour compte grâce à des paroles engagées et inspirées par l’actualité, comme l’attentat du Bataclan (« The Kids Don’t Wanna Come Home »), l’intolérance religieuse (« Bethlehem ») ou le suicide d’un jeune transsexuel (« Paracetamol »). Si l’ambiance musicale entre indie et pop ne brille pas encore par une grande originalité, surtout à cause de mélodies encore un peu faibles, la fougue de l’interprétation fait le job sans hésitation. « Listen To Your Friends », collaboration avec Rostam Batmanglij (Vampire Weekend) qui termine l’album ouvre toutefois grand les fenêtres et laisse apparaître un potentiel radieux.
Un blouson épaulé en lamé argenté et des paillettes dégoulinant sur ses joues encore poupines, un « mullet » en désordre, Declan McKenna incarne sur la pochette de « Zeros » le David Bowie de 1970, celui qui avec son groupe the Hype posait les bases du glam rock. Celui-ci avait alors à peu près le même âge et venait de composer « Space Oddity », ce space opéra intime qui lança sa carrière. Declan McKenna tente de se mesurer à un tel monument avec « Be An Astronaut ». Où l’on retrouve des éléments bowien, mais aussi le bon Elton John de « Rocket Man », encore un chanson spatiale. Mais plutôt qu’un voyage astral, « Be An Astronaut » est un encouragement à s’accrocher à ses rêves et à braver les sarcasmes de tout ceux qui s’en moquent, à s’affirmer tel qu’on est et comme on veut l’être. Ample ballade mid-tempo scandée au piano, elle a le côté instantanément accrocheur des grandes chansons glam rock du début des 70’s (le bon, celui de Bowie bien sûr, de Roxy Music) tout en osant une grande sophistication musicale… On jurerait que c’est un virtuose genre Mick Ronson qui tient la guitare. Le maximalisme et le lyrisme de l’entreprise nous renvoie aussi au revival 70’s opéré par les jeunes Américains the Lemon Twigs, sans le côté Broadway toutefois. Le reste de « Zeros » est tout aussi savoureux, de l’explosion rock inaugurale de « You Better Believe !!! » à l’excellente « The Key Of Life On Earth » qui est clairement inspirée par « Ashes To Ashes » (voyez l’excellente vidéo, où McKenna fait face à un double embarrassant, joué par Alex Lawther, l’acteur de « The End Of The F***g World », ça tombe bien, ces deux-là se ressemblent et sont un peu les visages d’une génération de vingtenaires britanniques). La très catchy « Beautiful People » et son rythme pop funk rappelle Blur et « Daniel, You’re Still A Child » est un joli moment de space pop (Daniel étant le personnage récurrent des chansons de McKenna). Suffisamment fluide pour plaire à toutes et tous (il confesse expérimenter son champ sentimental et se revendique pansexuel), Declan McKenna est un jeune homme de son temps, quand bien même il se love dans les satins du glam, musique rétro-futuriste bougrement excitante dont les bases ont été posées il y a tout juste cinquante ans.
Pas encore vingt-deux ans et on ne voit guère ce qui pourrait s’opposer à l’ascension fulgurante de Declan McKenna. Lequel confesse vouloir embrasser une carrière à la Bowie et ne jamais se répéter. On vérifiera sur scène, dès qu’on le pourra, s’il a l’étoffe d’un très grand.