A chaque chose malheur est bon dit le proverbe, et c’est ce que je me dis parfois en tombant sur les playlists diffusées par France Inter pendant leur longue grève. Alors bien sûr, il est par moments difficile de ne pas zapper (enchaînements entre les morceaux qui se répètent jour après jour, « Que je t’aime » de Johnny (Johnny… Sur France Inter, WTF ???), trop de rap français AutoTuné et d’indignes baba-cooleries ayant l’art de décourager l’auditeur le plus indulgent) mais cette playlist peut aussi se révéler être une mine d’or où l’on déterre de bien belles découvertes… Telles le merveilleux duo entre Bertrand Belin et l’impeccablement juste Barbara Carlotti (« Lentement ») ou ce « Stay High » de Brittany Howard.
Jeune femme métisse originaire du Sud profond des USA, Brittany Howard s’est fait remarquer en tant que chanteuse et guitariste des tonitruants Alabama Shakes au début des années deux mille dix. Ce quatuor d’Athens, Alabama, a distillé en deux albums un mix de rock, rhythm n’blues, soul et country redevable du son traditionnel de Memphis tout en l’updatant parfaitement, le tout avec une exécution musicale impressionnante de justesse et une énergie folle due surtout à la voix volcanique et gorgée d’âme de Brittany Howard. Les hymnes « Hold On » (dans le premier album « Boys and Girls « ) et « Don’t Wanna Fight » (dans le second et pour l’instant dernier « Sound and Color « ) sont toujours aussi vitaux aujourd’hui. Howard s’est aussi distinguée en formant en 2015 à Nashville Thunderbitch, groupe de garage rock brut de décoffrage où sa voix blues se fait très animale, avec un bonheur certain.
Il paraissait donc logique que Brittany Howard se livre à l’exercice de l’album solo, moins que celui ci arrive après un writer’s block, angoisse de la page blanche qui l’a contrainte d’annoncer à ses collègues d’Alabama Shakes qu’un break à la durée indéterminée s’imposait. Et c’est en se plongeant dans l’introspection que l’inspiration lui est enfin revenue. Le titre de l’album « Jaime » porte le prénom de cette sœur ainée morte à l’âge de treize ans d’une rare forme de cancer. C’est elle qui avait donné le goût de la musique et de la poésie à sa petite sœur, lui apprenant à écrire une chanson. Sans la protection du bouclier formé par son groupe, Brittany Howard se mesure à l’intime, se dévoile comme jamais avec des chansons où elle se montre vulnérable, où elle pose sur la table son identité queer, son enfance de métisse pauvre dans le coin le plus ouvertement raciste et bigot des Etats-Unis, sa spiritualité, ses traumatismes familiaux. Elle emmène aussi sa soul music vers des rivages encore inexplorés. Enregistré à Los Angeles avec un groupe composé des musiciens éclectiques, dont le bassiste et co-fondateur des Shakes Zac Cockrell et l’exceptionnel pianiste de jazz Robert Glasper, Brittany Howard se permet toutes les audaces en s’acquittant de toutes les guitares, joue avec les beats rap, le funk psychédélique, le synth rock, le jazz et les dissonances (comme dans l’étrange et très noisy « 13th Century Metal ») mais aussi les ballades soul dénudées (la chanson d’amour « Short and Sweet »). Cerise sur le gâteau, sa voix si versatile peut incarner toutes les nuances et diffuse une émotion crue qui vous prend aux tripes.
« Stay High » a tout du single parfait. Chanson optimiste au milieu du chaos ambiant où Brittany Howard fait le souhait de toujours revivre le même moment merveilleux auprès de sa blonde, sentiment universel porté par une mélodie imparable solidement assise sur un groove ternaire qui swingue sans effort. Des notes de piano jouet (il y a même un petit chorus de cet instrument aussi rudimentaire qu’original), une guitare rythmique très soul folk, des handclaps qui donnent envie de se joindre à eux et le chant gorgé d’âme mais jamais vainement démonstratif de Brittany Howard rendent cette très jolie chanson intemporelle, en font un standard instantané. « Jaime » apparaît dans bon nombre de palmarès de fin d’année des journaux et sites musicaux, honneurs amplement mérités pour une artiste de premier ordre.