La voix d’Eddy de Pretto m’avait happé au hasard d’un passage radio. On y jouait sa « Fête de trop », et derrière un habillage hip hop d’assez bon goût retentissait une voix de ténor puissante, à la diction articulée et au style peu maniéré déclamant un texte personnel et intrigant, ce genre de texte qui vous fait arrêter ce que vous êtes en train de faire pour écouter ce qui se raconte. L’histoire d’un jeune mec déjà fatigué de l’hédonisme forcené de sa vie de clubber gay. La sienne. Donc, de la chanson dans cette rubrique aux choix très majoritairement anglophones. Celui-ci détonne forcément mais je l’assume à cent pour cent.
La musique d’Eddy de Pretto, jeune homme de vingt-cinq ans originaire de Créteil n’est pas facile à situer mais indique bien la direction que semble prendre aujourd’hui la musique française, soit un jumelage de plus en plus serré entre la chanson française patrimoniale et variété et le hip hop. Orelsan ou Stromae ne font pas autre chose, avec l’immense succès qu’on leur connait. De Pretto allie donc les disques de Barbara et de Nougaro qu’écoutait sa mère et le rap de Booba ou Diam’s diffusé à haute dose par ses potes de cité, construisant un pont entre ces deux influences venues de l’enfance et refusant de choisir entre les deux. Eddy de Pretto revendique aussi le R n’B sensible et mutant de Frank Ocean, la pop ambiguë de Christine & the Queens, cite Daho et Bowie, mais surtout dégage une personnalité bien singulière, accompagnant son français très chanté par des arrangements hip hop ou electro, mis en son en studio par des collaborateurs de Christine & the Queens, Booba et Gucci Mane.
Si de Pretto refuse d’être réduit à l’image du banlieusard homo qui fait de la chanson rap, il se raconte pourtant avec une honnêteté totale dans ses textes. Ainsi le texte de « Kid », second single de son premier EP éponyme, m’a interpellé par sa pertinence absolue. Un père y enjoint son fils à adopter tous les codes d’une virilité dominatrice (cette « virilité abusive » du refrain), à l’arborer fièrement et à réprimer toutes les influences féminines et donc faibles et soumises qui pourraient la pervertir. Mais le kid en question ne l’entend pas de cette oreille, en confère la fin de la chanson, quand le garçon reprend la parole:
Mais moi, mais moi je joue avec les filles
Mais moi, mais moi je ne prône pas mon chibre
Mais moi, mais moi j’accélérerai tes rides
Pour que tes propos cessent et disparaissent
Cette charge contre les diktats de « genre » sonne d’autant plus juste qu’il parait évident qu’Eddy de Pretto a dû les combattre dans sa famille comme dans la banlieue qu’il a quittée, forcément. Spéciale dédicace, donc, à tous les petits garçons qui préfèrent jouer à la poupée plutôt qu’au foot…
On reparlera beaucoup d’Eddy de Pretto (son premier album « Cure » paraît ces jours), il peut même parier qu’il aura beaucoup de succès, la puissance et le lyrisme de ces deux premières chansons ouvrant de bien belles perspectives. Sur scène, sa voix n’est accompagnée que par un iPod relié à la sono et par un batteur. Son corps élastique, façonné par la danse et l’intensité de son interprétation font le reste.
En concert :