Un commentaire sur Facebook, émanant d’un ami, ironisait « Il n’y a quand même pas un groupe français qui s’appelle Marquis de Sade ? ». Oh que si ! Le groupe s’est même reformé pour un unique concert dans sa bonne ville de Rennes, trente-cinq ans après sa séparation. Comme Led Zeppelin en 2007 à Londres, ce concert au Liberté aura été le seul et unique, il n’y en aura pas d’autre, inutile d’insister.
Né sur les cendres du punk dans cette ville symbole alors du rock en France, Marquis de Sade réunissait deux fortes têtes, le guitariste et arrangeur Franck Darcel et le chanteur Philippe Pascal. Le jeune homme à l’avantageux physique ténébreux qui fit succomber nombre de filles à l’époque, apportait avec lui une esthétique sombre, voire torturée, inspirée par Antonin Artaud, Rimbaud ou Egon Schiele, tout un romantisme très Mitteleuropa tout à fait en phase avec la new-wave de l’époque. Esthétique appuyée par un jeu de scène théâtral, expressionniste et épileptique, se rapprochant de celui d’Ian Curtis, le charismatique frontman de Joy Division. Mélodiste et arrangeur doué, Darcel s’inspirait volontiers du Velvet Underground, de la trilogie berlinoise de Bowie et de Talking Heads, mais aussi de stridences free-jazz grâce aux deux saxophonistes qui accompagnaient le groupe, plaçant Marquis de Sade dans la catégorie after-punk, ou new-wave à l’anglo-saxonne, ce qui était absolument inédit dans la France de 1979.
Un premier album « Dantzig Twist » retranscrit avec fidélité les obsessions et les influences du groupe. Bien sûr, et comme c’est malheureusement toujours le cas pour les disques made in France de l’époque, le son est riquiqui, sans nuances et ne saurait rendre justice à la flamboyance noire et romanesque du groupe à l’époque. Le succès fut néanmoins au rendez-vous avec des titres comme « Conrad Veidt » et « Walls » et Marquis de Sade se constitua bien vite un réseau de fans ultra-motivés qui les suivaient partout, des copines de fac m’avaient raconté être allées à Rennes juste dans l’espoir de les croiser. Fort de ce succès, Marquis de Sade a pu avoir d’autres ambitions pour un second album. Las, la direction bicéphale du groupe se mit alors à diverger. Pascal voulait enregistrer avec Martin Hannett, le sorcier derrière Joy Division, Darcel voulait tâter du funk après avoir flashé sur tout ce qui se faisait à New York. Un compromis fut trouvé en embauchant Steve Nye, producteur ayant oeuvré derrière Roxy Music, Japan et Marvin Gaye. Le groupe enregistra la musique à Rennes et Philippe Pascal sa voix seul à Londres avec Nye.
« Wanda’s Loving Boy », premier single de l’album est pour autant une réussite. Sans gommer totalement les scories qui rendaient le groupe très personnel, le son est considérablement arrondi. Les arrangements subtils (la cocotte de guitare, évidemment inspirée par Talking Heads, la rythmique dansante avec basse slappée, les malicieux motifs de saxophones) n’arrivent pas à totalement ensoleiller la noirceur de l’ensemble. Le chant de Pascal reste tendu même s’il est plus souple. Le texte, quant à lui, narre les affres d’une relation sado-masochiste… Morceau ample, bien balancé, ce fut le plus gros succès commercial de Marquis de Sade, succès amplement mérité.
Malgré tout, le fossé qui séparait les deux leaders devint bien vite infranchissable. Après la tournée triomphale qui suivit la sortie de « Rue de Siam », le second album, Marquis de Sade se désintégra, Philippe Pascal formant Marc Seberg (du nom de l’alter-ego qu’il mettait souvent en scène dans ses paroles) et Franck Darcel et les autres Octobre. Ce dernier eut plus de succès comme le collaborateur privilégié de son concitoyen Etienne Daho, pour lequel il écrivit et produisit » Le grand sommeil », l’album « La Notte, la Notte » et l’immense succès « Tombé pour la France ». Je les avais applaudis à Dijon en 1981, je suis désormais certain de ne jamais les revoir !