Certains s’offusqueront que j’ose jeter mon dévolu sur un groupe de math rock très majoritairement instrumental, et pourtant (et je ne m’y attendais absolument pas) je suis tombé sous le charme de Totorro, quartet rennais aussi joueur que rigoureux et qui utilise les instruments rock (deux guitares, basse et batterie) pour monter des pièces assez inclassables, toujours surprenantes mais jamais absconses ou rasoir. Groupe d’amis de lycée qui avaient démarré la chose musicale en faisant du post rock hardcore, ils ont dévié, en s’adjoignant les services d’un batteur techniquement surdoué, vers un objet musical non identifié, laissant de côté les côtés sombres et agressifs pour embrasser des ambiances solaires, presque pop.
Pas d’intellectualisme méprisant ici. Totorro, c’est un peu le club des quatre, quatre copains bretons au look d’étudiants un peu nerd, qui semblent bien rigoler et qu’on imagine habiter tous ensemble dans la même maison. En attestent leurs clips, joliment absurdes, dégageant comme leur musique un humour naïf et naturel, et ne focalisant que sur les membres du groupe. La musique de Totorro est bizarrement accueillante, ses angles saillants sont plus que confortables. On est aussi cueilli au détour par une mélancolie diffuse, mais bien réelle. La mélancolie de l’enfance, des jeunes années, de l’innocence et de l’insouciance en tous les cas. Je ne connais guère de groupes et musiciens du genre sachant instaurer un tel climat. Et nombre de leurs compos sont de très haute tenue, telles « Yaaaago », « Chevalier Bulltoe » ou encore « Tonton Alain Michel » (les titres valent leur pesant de dadaïsme).
Issu de leur troisième album paru fin 2016, le remarquable « Come To Mexico« , « Gérard Blast » est un vrai OMNI (objet musical non identifié) bâti en trois mouvements: une première partie où les entrelacs de guitares sautillent sur une batterie syncopée mortelle, débordante de bonne humeur et distillant des harmonies mélodiques assez sublimes. Et en même temps, la rythmique est d’une rigueur toute mathématique qui nous fait penser que ces quatre types ont dû méchamment se prendre le chou pour que ça tourne, mais ça tourne, et comment. Suit un pont très calme, méditatif, qui installe une ambiance de plus en plus inquiètante, avant une explosion dévastatrice finale, dissonante et haletante. Un blast, en somme, qui détruit tout sur son passage avec l’enthousiasme de sales gosses qui font une mauvaise blague. Drôle de composition, qui se révèle de plus en plus cohérente à chaque écoute… Il paraît que Totorro est impérial sur scène, j’aimerais bien pouvoir le vérifier par moi-même.