On The Rocks #26

The Wipers me rappelleront à jamais le Brésil, un trajet entre un bar de samba du nord de Curitiba et l’appartement d’un ami aux petites heures du matin. L’autoradio Blaupunkt de la Clio 2 à fond la caisse. Inoubliable. Comment être passé si longtemps à côté d’un groupe aussi mythique ? Il faut dire qu’en Europe, le gang de Portland reste assez confidentiel. Pourtant, d’Anchorage à Buenos Aires, The Wipers sont considérés comme un des pionniers du punk rock américain. La touche de la formation de l’Oregon a multiplié ses progénitures spirituelles: Nirvana, Red Dons, The Melvins, Jay Reatard, Jeff The Brotherhood ou The Estranged. Premier album du power trio, « Is This Real » pose les bases d’un rock urgent, ténébreux, où le sens de la mélodie tient une place prépondérante. Emmenés par Greg Sage, The Wipers commencent à se faire un nom sur le circuit rock de la côte ouest à la fin des seventies. Le frontman est un perfectionniste. Il polit son son, confectionnant lui-même ses propres amplis à lampes. Il faut dire que Sage est un personnage intrigant. Ses textes ne sentent pas la bonne humeur et les sonorités qu’il explore sont aussi brutes que mélancoliques. Sur ce premier essai disponible dans les bacs en janvier 1980, The Wipers jouent vite et fort. La première face du vinyle dépote, avec des hymnes punks vrombissants : « Return of the Rat », l’incendière « Up Front » ou « Let’s Go Away ». Sur « Is This Real » et « Tragedy », le groupe développe un côté pop ultra mélodieux qui fera office de marque de fabrique des Wipers. On retrouve cet aspect terriblement accrocheur sur l’excellente « Wait A Minute », ballade punk à fendre le coeur à n’importe quel fan de guitares mielleuses. On se dit qu’après tout, il n’est pas étonnant que Kurt Cobain vouait un véritable culte aux Wipers. A chaque écoute, me voilà replongé dans la chaleur étouffante de cette jungle de béton sud américaine. La face B culmine avec « Window Shop For Love », poésie acide au break de basse ravageur. Sur ce morceau, on palpe toute l’ingéniosité du groupe de l’Oregon, qui entremêle des parties de guitares inquiétantes. Sage n’a plus qu’à cracher ses lyrics inquiétants, à glacer le sang. Voilà de quoi convaincre SubPop de rééditer l’album en 1993, en pleine hystérie grunge, rendant ainsi un hommage plus que mérité à une formation atypique dont on aimerait entendre parler plus souvent dans nos contrées.

Année : 1980
Origine : Etats-Unis
Pépite : « Is This Real »
Eat : Donuts au chocolat
Drink : Suze Tonic

 

Des bourgeois sans intérêts, selon Captain Sensible. Dans le documentaire « Don’t You Wish That You Were Dead » de 2015, le bassiste puis guitariste de The Damned n’épargne pas ses contemporains de The Jam. Oui, The Jam est un groupe de punk à part. Oui, The Jam descend tout droit des The Who, The Kinks et The Small Faces. Oui, The Jam vénère ces monstres sacrés que les Pistols et les Clash se sont employés à démolir. Policé, nostalgique, et tellement anglais, le power trio originaire de Working dans le Surrey (ça ne s’invente pas) revisite une Angleterre qui ne fait plus rêver grand monde à l’époque. Il faut dire que Paul Weller a un projet : ressusciter le mouvement Mod, celui qui avait donné une certaine élégance à la jeunesse anglaise en plein baby boom. Sur la pochette, The Jam pose en costard. Pas étonnant. Dans le jeu de guitare de Paul Weller, on peut encore entendre l’influence du pub rock anglais, Eddie and the Hot Rods et Dr. Feelgood en tête (allez écouter « Non-Stop Dancing »). Sauf que le jeune supporteur de Chelsea FC s’est aussi fait la main sur de la soul américaine et manie la plume avec une audace typique britannique. Le groupe annonce la couleur dès « Art School ». Puis vient « I’ve Changed My Address », ballade power pop qui explore un registre légèrement plus sucré. Le timbre de voix de Weller et le son claquant de sa Rickenbacker donne une identité singulière au groupe. Le groupe fait alors le choix de glisser une reprise énergique du tube soul « Slow Down » de Larry Williams. On passe ensuite à la succulente « I Got By In Time ». Encore une fois, l’influence soul est très largement palpable sur cette sucrerie au refrain entêtant. Ce genre de chansons laissera des traces qu’on retrouvera vingt ans plus tard dans les premiers albums de Blur et Supergrass. Histoire de ne pas se prendre au sérieux, The Jam immortalise sa propre version du thème de Batman. La deuxième face du vinyle démarre fort avec « In The City ». Premier single du groupe, il symbolise l’engagement du groupe envers la jeunesse de sa Majesté. Optimiste, Weller se fait le porte-parole d’un mouvement punk dejà rétro, en allumant la police de sa majesté au passage (« In the city there’s a thousand man and I hear they now have the right to kill a man »). Premier succès du Modfather et de sa bande, « In The City » est un ovni dans la discographie punk de 1977. Plus pop, plus fin, plus nostalgique, il reste néanmoins une oeuvre majeure de son temps. Son acquisition est plus que nécessaire.

Année : 1977
Origine : Royaume-Uni
Pépite : « I Got By In Time »
Eat : Oeufs brouillés saucisse
Drink : Une pinte d’IPA

 

Au début des années 2000, les dinosaures de la décennie précédente sentent que le vent tourne. Les uns après les autres, ils mettent de l’eau dans leur vin ou choisissent tout bonnement de rendre l’âme. Il faut dire que les groupes en The emmenés par les Strokes et les Libertines ont mis un gros coup de pied dans la fourmilière. Finis les délires mégalos des nineties, les productions bodybuildées, les millions de dollars dépensés dans d’interminables sessions de studios et les tournées dans des stades de football bondés aux quatre coins du globe. Sauf pour Jane’s Addiction. La bande à Perry Farrell n’a rien à faire des conventions. Après treize ans d’absence (le monstrueux « Ritual de lo Habitual » datant de… 1990), le mythique fondateur du festival Lollapalooza convainc Dave Navarro de faire un tour en studio. Bob Ezrin est assigné à la production. Il faut dire que le producteur de Kiss, Lou Reed et Alice Cooper connait la maison. Et puis il correspond bien à l’image du groupe. Marabout glam rock à l’impressionnant pedigree, Ezrin va réussir à capter l’âme de Jane’s Addiction en lui réinjectant un peu de coffre quand il faut. Le producteur canadien fait dans la modernité. On lui reprochera d’ailleurs le son métallique qu’il confiera au groupe (« Hypersonic »). Peu importe. L’album ouvre en grandes trombes sur « True Nature » et son riff de guitare zeppelinien. La production est colossale. Les guitares sont puissantes, dissonantes. La batterie de Stephen Perkins n’a jamais sonnée aussi lourde. Même combat sur l’insolente « Strays » et sa basse ronflante. Le groupe a d’ailleurs décidé de confier la quatre cordes à Chris Chaney, un vieux collaborateur de Slash, Rob Zombie, et Taylor Hawkins. Il ne manquait qu’un single pour marquer le coup. C’est chose faite avec « Just Because », un titre enivrant dont le clip fera le bonheur de MTV. Noyée dans un déluge d’écho et de reverb, la guitare de Navarro n’a rien perdu de sa superbe. Que ce soit sur les arpèges psychédéliques de l’intro de « Price I Pay » ou le solo grandiloquent de « The Riches », l’ancien compagnon de Carmen Electra régale. Sur « Suffersome », il retrouve son groove légendaire, sorte de fusion entre Prince et Jimmy Page. Voilà de quoi signer un retour gagnant, tout en puissance et en paillettes.

Année : 2003
Origine : Etats-Unis
Pépite : « Just Because »
Eat : Chou à la crème
Drink : Champagne Dom Pérignon