La France a toujours préféré Deep Purple à Black Sabbath. Faute de goût impardonnable à mes yeux. Il faut dire que les deux formations n’évoluent pas tout à fait dans le même registre. Monstre vénéré aux Etats-Unis, en Scandinavie et au Brésil, la formation menée par Ozzy Osbourne a marqué l’histoire du rock par son approche néandertalienne du genre. Enregistrée à Londres au premier trimestre de 1971, « Master of Reality » est une des pièces fondatrices du heavy metal, et du rock de manière générale. On parle ici d’une musique obscure à la simplicité déconcertante. Car c’est cette approche basique du riff et de la mélodie qui a permis à Black Sabbath de s’imposer comme l’un des groupes les plus marquants des cinquante dernières années. Ici, pas de solos clinquants et de rythmiques farfelues. Du riff, et encore du riff, qui servent de bases aux incantations planantes du jeune Ozzy. Avec ses deux phalanges atrophiées, le guitariste Tony Iommi ralenti la cadence, inventant ainsi un style complètement nouveau, à l’opposé de ce que propose les musiciens du rock progressif qui infestent les ondes radios et remplissent des salles aux quatre coins du royaume. Tel un char écrasant tout sur son passage, le groupe originaire d’une banlieue ouvrière de Birmingham martelle ses hymnes hallucinés à grands renforts de distorsion et roulements de batterie d’une impressionnante lourdeur (« After Forever »). D’une puissance remarquable, « Children Of The Grave » se distingue comme le morceau le plus consistant de l’album. Hautement addictive, cette chanson reprend la recette expérimentée sur « Paranoid » quelques mois plus tôt : une batterie au galop, un riff qui cavale sans relâche et une voix de prêcheur à glacer le sang du prêtre de la paroisse la plus proche. Même combat sur « Lords of This World », autre titre complètement malsain. Histoire de donner une petite touche locale, le groupe insère deux interludes acoustiques puisant dans le folklore médiéval anglais (« Embryo » et « Orchid »), avant de terminer sur la démoniaque « Into The Void » et son riff préhistorique. Imbattable.
Année : 1971
Origine : Royaume-Uni
Pépite : « Children of the Grave »
Eat : Rumsteak à point
Drink : Un Saint Emilion Grand Cru
Il faut essayer de s’imaginer à quoi pouvait ressembler Bolton à la fin des années 1970. La pluie, les briques et pas grand chose d’autre à faire que d’enchaîner les pintes de bières au pub du coin les soirs de paye. C’est dans cette Angleterre tristounette, aux portes de Manchester, que les Buzzcocks voient le jour en 1976. Pete Shelley a tout juste vingt et un ans, et décide de combattre la grisaille ambiante à grands coups d’hymnes power pop ultra-rapides. Alors que les londoniens de The Damned, The Clash et The Sex Pistols inventent un punk rugueux et politisé, The Buzzcocks décident de faire dans le divertissant. Rien de mieux pour découvrir ce groupe plein de fraîcheur que de se plonger dans la compilation « Singles Going Steady » sortie en 1979 chez IRS Records, dans le but de populariser la formation mancunienne de l’autre côté de l’Atlantique. En s’inspirant du rock crétin des Ramones et des mélodies imparables des Beach Boys, Shelley et ses deux compères distillent des pépites pop aux refrains inoubliables et d’une légèreté déconcertante (« Promises », « Ever Fallen In Love », « I Don’t Mind »). Le songwriter décrit les joies et les déboires de l’adolescence mieux que personne. Tout y passe, des premières joies de l’amour solitaire (« Orgasm Addict ») à la déception amoureuse lycéenne (« You Say You Don’t Love Me »). Les chansons, toutes plus mémorables les unes que les autres, défilent à une vitesse ahurissante, sans jamais fatiguer l’auditeur ne qui peut que sourire à l’écoute de la prose naïve de Shelley. Sur « Strange Thing » et sa rythmique saccadée, on entend les prémisses de la new wave. Plus dark, le titre annonce le début d’une nouvelle ère musicale pour le groupe. Grâce à cette ingénieuse combinaison de textes juvéniles et de chansons basiques à scander dans la cour du lycée, The Buzzcocks sont les morveux les plus divertissants du mouvement punk. Pères spirituels de Nirvana, The Offspring ou plus récemment Slaves, leur empreinte sur le rock reste indélébile.
Année : 1979
Origine : Royaume-Uni
Pépite : « Ever Fallen in Love »
Eat : Beef Wellington
Drink : Une pinte de Carling
Une pochette qui ne dit pas grand chose. Un nom évocateur, union détournée des mots « Glue » et « Sniffer », afin de donner « Gluecifer ». Pas mal pour ces Norvégiens sortis de nulle part. Dès les premières notes de « Leather Chair », on comprend très vite à qui on a affaire. Sous des pseudonymes plus que douteux (le chanteur se fait appeler Biff Malibu, les guitaristes Captain Poon et Raldo Useless, rien que ça), le groupe joue vite et fort. Les influences sont évidentes : The Dead Boys, MC5, Radio Birdman ou bien même AC/DC. A mi-chemin entre classic punk et boogie déjanté, l’album donne envie de monter sur les tables et mimer des envolées de six cordes à s’en décoller les ongles. Replaçons les choses dans leur contexte. On est en 1997. En compagnie de leurs compatriotes de Turbonegro, Gluecifer fait office de sauveur d’un rock de comptoir qui sent bon la transpiration et le power chord. Voilà une formation que ni le grunge, ni la britpop ne semblent avoir détournée d’un objectif noble et clairement affiché : rocker plus vite et plus fort que tout le monde. Oui, Gluecifer a un but et ne s’en cache pas : celui de devenir les rois du rock. Sur « Rockthrone », la formation scandinave s’autoproclame (avec une certaine arrogance) monarque d’un genre qu’elle maîtrise avec brio. Dépourvue de tout rival de taille, la bande à Biff Malibu trace sa route sans regarder dans le rétro. Les titres, qui ne dépassent que rarement trois minutes, remettent l’ampli Marshall et la pédale fuzz à la mode. Pas de fioritures, seulement des hymnes garage punk hargneux et accrocheurs, dans la lignée de ce qu’il se fait au même moment dans le circuit underground du midwest américain (« Leather Chair », « Titanium Sunset »). On pense à des formations telles que The Gaza Strippers de Rick Sims ou les New Bomb Turks emmenés par le très énergique Eric Davidson. Rapidement, Gluecifer quitte son petit local de répétition d’Oslo et se lance sur les routes d’Europe, avec un certain succès en Allemagne et en Espagne. Plus brut que les albums qui suivent, « Ridin The Tiger » est une leçon d’efficacité, un hommage musclé au rock des anciens, à consommer sans modération.
Année : 1997
Origine : Norvège
Pépite : « Leather Chair »
Eat : Sandwich au saumon
Drink : Un pack de lager