Depuis près de vingt ans, fleurissent des longs métrages d’animation dont les héros ne sont ni des princesses aux longs cheveux, ni des ogres verts mais des humains banals au destin parfois extraordinaire et qui s’adressent à un public adulte.
Autopsie, à partir de morceaux choisis, d’un genre en perpétuelle évolution.
Héros de guerres
En 2007, Marjane Satrapi signait avec Vincent Paronnaud (alias Winshluss, auteur de BD) l’adaptation de sa bande dessinée éponyme Persepolis. Elle y fait le récit tragiquement drôle de son enfance dans l’Iran des années 1980 avec ce que le pays compte de bouleversements politiques, de changements idéologiques et de révoltes populaires. Depuis, le film d’animation semble s’être emparé du film de guerre et de très grands longs métrages animés ont suivi. On peut penser notamment à Valse avec Bachir (réalisé par Ari Folman en 2008) et dernièrement à Cafard (de Jan Bultheel, sorti en 2015).
Le premier est un film autobiographique qui propose d’aborder le travail de la mémoire traumatique, celle d’un ancien soldat israélien et de ses compagnons d’infortune. Anesthésié par l’expérience douloureuse de la guerre au Liban du début des années 1980, Ari Folman est, vingt cinq ans plus tard, incapable de se souvenir… Au gré de ses rencontres avec ceux qui vécurent le même cauchemar, il puise des témoignages, des récits quand, finalement, des images lui reviennent sur fond de rock israélien. Construction de l’inconscient ou « événements dissociatifs », l’auteur lui-même navigue entre la réalité et les mécanismes de protection du cerveau humain.
L’action de Cafard se situe, quant à elle, à la veille de la première guerre mondiale. Le lutteur belge Jean Mordant (doublé par Benoît Magimel) est au sommet de sa carrière. Il apprend lors d’une de ses compétitions en Argentine que sa fille Mimi a été violée par des Allemands. De retour à Ostende, la jeune femme très choquée ne le reconnaît pas. Il jure alors de la venger et s’engage dans l’armée belge contre les Allemands. Cafard n’oublie aucun détail et n’épargne pas le spectateur en donnant à voir aussi bien des combats sanglants que des suicides ou des corps livides.
Une profusion de détails et de sujets graves rendus possibles par le medium dessin qui crée une certaine mise à distance avec la réalité. La forme même du film d’animation permet d’accéder à des sujets graves et à leur représentation sans aucun filtre.
Des femmes « traits » libres
D’un point de vue formel, on assiste à une grande prise de liberté du dessin à travers deux œuvres récentes : La princesse Kaguya (produit par le studio Ghibli et réalisé par Isao Takahata, sorti en 2014) et La jeune fille sans mains (de Sébastien Laudenbach en 2016). Ces deux films sont sublimés par une esthétique aquarellée et se placent en contrepoint du mouvement actuel des films d’animation inspirés du roman graphique où le dessin ultra-figuratif et très détaillé est roi.
La princesse Kaguya, jeune fille née d’une tige de bambou, est trouvée et adoptée par un paysan et sa femme. Quelques années plus tard, le père trouve dans la même bambouseraie ce qu’il considère comme un signe du destin, une montagne d’or dont il va se servir pour faire de sa fille une princesse quitte à ce qu’elle abandonne les montagnes et la nature dans lesquelles elle a grandi pour rejoindre la ville. Avec un trait libre, des lignes ininterrompues et une peinture diluée, le célèbre studio nippon réussit à proposer une œuvre graphique animée très novatrice.
Une liberté partagée par La jeune fille sans mains qui se déroule dans une économie parfois extrême du dessin. Les cernes sont absents, et parfois un jet de peinture suffit à suggérer la forme et le mouvement des personnages ou du paysage. Une picturalité proche d’un Matisse, d’un Gauguin ou de leurs confrères fauves mise au service d’un grand lyrisme. Pourtant, ce conte des frères Grimm est présenté dans sa version originale non édulcorée dans ce que la vraie histoire a de plus crue, semblable à celle de Cendrillon dont les sœurs se coupent le pied pour le faire rentrer dans le soulier de vair. La jeune fille promise au diable, elle, renonce à ce qu’elle possède de plus pur : ses mains. S’en suivront les pires épreuves pour la jeune femme devenue mère, dont la fuite, afin de protéger sa vie et celle de son fils.
Tous deux, (pure coïncidence ?) présentent des jeunes femmes héroïnes de leurs vies qui subissent un temps ce que le patriarcat veut leur imposer et qui, chacune à leur manière, se libèrent de cette emprise. La libération aura lieu aussi pour le dessin.
Amour, psychose et eau fraîche
Le film d’animation peut aussi parfois permettre de dire l’angoisse, la folie du monde de l’adulte, les crises, la dépression, ou les doutes, autant d’idées présentes dans les deux films, Anomalisa (Charlie Kaufman et Duke Johnson sorti en 2015) et La tortue rouge (réalisé par Michael Dudok de Wit et sorti en 2016).
Anomalisa est une brillante nouvelle en stop motion dans laquelle le héros Michael Stone ne compte plus les printemps qu’il a vus se succéder et dont la réussite et le succès ne sont plus à faire. Seulement, Michael est malheureux et son quotidien ainsi que celui de tous ceux qui l’entourent lui semblent d’une banalité sans nom. Le génie du scénario tient dans la représentation des Autres, ceux qui gravitent autour du héros. Ils ont tous le même visage et la même voix et semblent à Michael une seule et même personne, jusqu’au jour où il tombe par hasard sur Lisa. Sa voix claire perce la monotonie dans laquelle Michael est plongé mais cela sera t-il suffisant pour le sauver ? Un huis clos façon Jean-Paul Sartre entre le personnage principal et le reste de l’humanité qui tourne parfois à la folie.
La tortue rouge débute par une tempête en mer et le naufrage d’un homme. Après avoir dérivé, il échoue sur une île déserte. Il tente de construire des radeaux mais ceux-ci sont systématiquement détruits par quelque chose qui semble venir des profondeurs de la mer : une tortue rouge. La tortue rouge (en partie produit par le studio Ghibli) dévoile une histoire d’amour forte, le tout sans aucun dialogue si ce n’est des cris ou des respirations, comme si le paysage en lui même, la fusion que l’homme opère avec son île, le souffle du vent, le cri des oiseaux, le ressac de la mer suffisaient à exprimer les sentiments des personnages. Un bijou d’onirisme et de poésie que la simplicité du trait figuratif et l’économie de détails subliment. Dans une métaphore de l’accession à l’âge adulte -la révolte, la résolution, l’acceptation du cycle de la vie- le film confronte son public à une réflexion sur le bonheur simple d’une vie mortelle.
Et comme il n’est plus nécessaire de le rappeler, là où le cinéma passe, la série le talonne jusqu’à parfois le dépasser. Il ne faudrait alors pas oublier la géniale série d’animation Animals créée par Phil Matarese et Mike Luciano dont la saison 2 est actuellement diffusée aux Etats Unis. Elle met en scène des animaux des villes ou des champs spectateurs de la folie des humains et s’interrogeant sur leur condition et sur ces drôles de bipèdes au comportement souvent sauvage. À voir de toute urgence !