Demain, je visiterai enfin l’expo « David Bowie is… » à la Philharmonie de Paris. J’aurais dû y aller à Londres, mais le destin en a décidé autrement. Je profite donc de cette séance de rattrapage pour honorer celui qui est, depuis presque quarante ans, mon artiste favori. Et pour cela, je m’arrête sur cette chanson fleuve, sans doute ma préférée du répertoire de Bowie qu’est « Station to Station ».
Enregistrée à Los Angeles en 1975 avec ce qui sera sans doute son meilleur groupe (Carlos Alomar et Earl Slick aux guitares, George Murray à la basse et Dennis Davis à la batterie), la chanson titre de l’album sorti en janvier 76 est absolument épique. Bowie, vivant alors reclus sur les hauteurs de Beverly Hills, prenant des quantités himalayennes de cocaïne, combattant des démons intérieurs terrifiants ne se souvient guère de l’enregistrement de ce disque, et l’on se demande quelle force créatrice intérieure lui a permis d’accoucher d’un tel chef d’oeuvre. Seuls quatre morceaux de funk mutant robotique mais groovy à l’extrême (c’est la fin de la période américaine de Bowie et on entend son « crush » pour les austères et géniaux Allemands Kraftwerk et Neu!) et deux extraordinaires ballades (« Word on A Wing » et l’excellente reprise « Wild Is The Wind ») composent un disque dont il n’y a pas une seconde à jeter.
Quand je suis tombé à quinze ans sur ce disque chez mon amie Myriam (je lui avais fait commander au club Dial, flairant quelque chose…), j’ai connu une véritable épiphanie. Mon rapport à la musique, et donc au monde en fut complètement bouleversé.
Un bruitage de train filant à travers la plaine s’efface sous une avalanche de larsen (Slick, qui pour se faire avait relié toute une chaine d’amplis) précédant un riff de piano martial et monotone et des cocottes de guitare. La voix de baryton, dramatique et impériale clame « The Return of the Thin White Duke, throwing darts in lovers eyes ». Cette longue intro expressionniste ne ressemble à rien d’autre. Bowie raconte ses combats avec les forces occultes de son esprit, de « gare en gare » ou mieux « de station en station » (du Christ). A mi-chemin, le tempo s’accélère et le rythme se pose en 4/4 discoïde, la guitare d’Alomar joue funk et le piano de Roy Bittan honky tonk. Bowie annonce alors son désir de retourner en Europe (« the European cannon is here »), retrouve la joie et l’excitation, est prêt à renaître. La fin du morceau est une bacchanale de guitares, celle, funky à mort d’Alomar croisant celle rock au fer rouge de Slick. C’est d’une audace absolue, totalement avant-gardiste et pourtant toujours pop et catchy, le genre de morceau qui a pu inspirer des myriades de groupes. Dix minutes de grâce où David Bowie n’a jamais aussi bien chanté (et ne chantera jamais aussi bien).
Je ne m’en lasserai jamais et je ne remercierai jamais assez David Bowie de m’avoir fait vivre un tel moment que celui où je l’ai découvert…