SOTW #240 : Chaise Longue, Wet Leg

« Il est rare qu’un nouveau groupe sorte deux chansons et qu’elles soient super toutes les deux » s’enthousiasmait le magazine Variety en septembre 2021 à propos de Wet Leg en évoquant Chaise Longue et Wet Dream, les deux premières du jeune duo britannique. Il devient très rare aussi qu’on ait un coup de cœur en 2022 pour des chansons purement indie rock. Ces deux-là sont aussi bien fichues qu’irrésistibles et devraient réconcilier le grand public et le rock, ce qui n’est pas aujourd’hui la moindre des gageures.

Wet Leg est un duo formé par deux amies de lycée sur l’île de Wight, autrement dit à Champignac-en-Cambrousse. Rhian Teasdale et Hester Chambers font de la musique avant tout pour s’amuser (« Good times all the times » est leur devise) et ne s’embarrassent pas d’alibis culturels pour se justifier, posture ô combien rafraîchissante. Deux filles différentes, complémentaires et parfaitement complices, Hester la timide blonde à la voix douce au physique de folkeuse et l’extravertie et plus physique aux cheveux châtain Rhian forment une solide entité qui leur a permis de passer impérialement à travers le formidable buzz qu’ont généré leurs deux premières chansons. Elles en ont depuis dévoilé trois autres qui figureront dans un premier album au nom du groupe à paraître le 8 avril et l’avenir se présente radieux pour les deux amies. Avant de se réunir, elles avaient chacune de leur côté tenté l’aventure musicale, Chambers avec son petit ami et Teasdale en tant que Rhian, auteure-compositrice aux inspirations folk, sans grand succès et pas mal de déceptions puisque la première était retournée travailler dans la bijouterie familiale tandis que la seconde devenait styliste à Londres. Un été passé entre copines à s’éclater dans les festivals leur donna l’envie de faire de la musique ensemble, pour le fun, sans tirer des plans sur la comète ni ambition particulière. Et ironiquement, c’est au moment où elles décidèrent de s’en foutre qu’elles trouvèrent la formule qui allait les propulser sur le devant de la scène. Sur la foi d’une démo, elles sont tout de suite signées par le prestigieux label indépendant Domino (Arctic Monkeys, Cat Power, etc.), ont trouvé trois garçons chevelus impeccables pour les accompagner (guitare, basse, batterie) et sont rentrées en studio avec Dan Carey, producteur britannique que tout le monde s’arrache, de Franz Ferdinand à Fontaines D.C., cela même avant d’avoir foulé la moindre scène. Situation induite par le confinement et c’est sans aucun doute ce qu’elles avaient de mieux à faire !

En juin 2021 sort Chaise Longue, premier single et joli moment de post-punk aussi surréaliste qu’apparemment simpliste. Avec sa batterie sèche, son riff de guitare reconnaissable entre mille et sa ligne de basse mélodique, on tape du pied immédiatement et le gimmick se visse dans la tête instantanément. Le spoken word pince-sans-rire de Rhian, faussement apathique et un poil insolent, dénotant un sens de l’humour acéré et le « What ? » murmuré par Hester concourent à donner une vraie personnalité à la chanson. Les paroles ne sont pas en reste et personne ne butera sur le refrain en le reprenant en chœur « On the chaise longue, on the chaise longue, all day long on the chaise longue ». Ce post-punk jovial donne avantageusement le change à toute la majorité sombre, voire dystopique du genre en vogue depuis quelques temps outre-Manche. Ajoutez à cela une vidéo où on les voit faire les imbéciles habillées comme s’ils elles jouaient dans « La petite maison dans la prairie » dans la campagne de l’île de Wight et vous aurez tous les ingrédients qui ont fait de Chaise Longue un hymne. Hymne féministe, car les filles prennent ici les commandes, tancent un petit ami peu entreprenant ou invitent un spectateur à les suivre dans leur loge, où chaise longue et packs de bière tiède sont à disposition. C’est extrêmement addictif, on pense aux Breeders et aux Yeah Yeah Yeahs, Iggy Pop serait fan, les amateurs d’artistes maudits repasseront, les autres sauteront de joie. Quelques concerts en Angleterre et aux Etats-Unis (et un aux Transmusicales annulé…), quelques télévisions bien choisies ont suffi à leur donner une bonne réputation scénique, les deux amies et leurs musiciens semblant prendre un vrai plaisir à jouer et se marrent souvent. En janvier, elles ouvraient pour IDLES à Londres, devant le groupe qui avait fait germer en elles l’idée de former le leur… On attend donc beaucoup de l’album à paraître. Le second single Wet Dream tourne beaucoup sur les radios françaises et reconduit la formule joyeusement pop et terriblement accrocheuse, par contre le troisième Angelica, chanson sur une vieille amie de Rhian laisse entrevoir tout autre chose. Tout en gardant un tempo enlevé, elle sonne plus sombre et psychédélique avec synthés très présents et propose un refrain plus grave, s’apparentant davantage à une indie pop façon Siouxsie & the Banshees.

« Wet Leg », l’album, est donc attendu comme le messie par le public rock et indie pop qui n’avait rien d’aussi populairement prometteur à se mettre sous la dent. Depuis le temps que les groupes à guitares reviennent en grâce, c’est le moment d’en avoir un qui fédère plus large. Qu’il soit la réalisation du projet de deux filles nature et marrantes n’en est que plus excitant.

Live on Later With Jools Holland (BBC)