SOTW #241: Always Together With You, Spiritualized

Des beeps venus de l’espace et une voix désincarnée d’hôtesse de tour de contrôle lancent un drone de synthétiseurs et de phasing sur lequel trouvent place des chœurs aériens, des notes de glockenspiel et des accords de guitare… Une mélodie répétitive s’installe, comme une comptine, égrenée par la voix filtrée de J Spaceman, alias Jason Pierce, le démiurge derrière la folle entreprise Spiritualized. Ce motif mélodique apparemment modeste, ce pur ostinato prend une ampleur majestueuse à mesure que les strates d’effets et d’instruments s’emparent de cette simple ritournelle, tempête de guitares (combien y en a-t-il ?) et menaces de larsen avant que n’explose le refrain Always Together With You, simple phrase accompagnée de choeurs féminins séraphiques. Puis rentrent les violons, que dis-je l’orchestre, les timbales, les cymbales, formant un mur du son spectorien où le petits détails pointillistes créent d’admirables bas-reliefs. Un break orageux relance la chanson pour un finale ébouriffant et capiteux avec échos saisissants, tornades de bruit blanc et un solo de sax qu’on jurerait venir du fond des âges du rock n’roll. A plein volume, l’effet est maximaliste et incroyablement puissant sur l’auditeur et la chanson s’incruste irrémédiablement dans votre cerveau. Et ce qui est miraculeux avec Spiritualized, c’est que cette overdose d’arrangements et de production sublime la beauté humble de cette chanson.

Spiritualized est né des cendres de Spacemen 3, groupe de space rock psychédélique formé à Rugby près de Birmingham au début des années quatre-vingt. Précurseurs du mouvement shoegaze qui fit florès à la fin de cette décennie avec des groupes comme My Bloody Valentine, Ride ou the Verve au début, les membres de Spacemen 3 confessaient « Take drugs to make music to take drugs to » (prendre des drogues pour faire de la musique pour prendre des drogues, formule aussi mémorable que publicitairement marquante, que certains artistes de cette époque ont un peu trop suivi à la lettre). Des conflits entre les deux leaders Jason Pierce (le guitariste et chanteur) et le claviers Pete Kember (alias Sonic Boom) conduisirent en 1990 le premier à embarquer le reste du groupe pour mener un nouveau projet, le second devenant un producteur recherché (on le verra aux manettes derrière Panda Bear ou MGMT). Dès lors, Spiritualized allait devenir une structure instable autour du seul Jason Pierce, multipliant les changements de personnel sans que cela n’altère aucunement le style du « groupe ». Leur rock construit à base de pédales d’effets et d’architectures psychédéliques, en cela proche de ce que faisaient Spacemen 3 allait prendre un tournant radical en 1997 avec l’album multi-récompensé « Ladies And Gentlemen, We Are Floating In Space » (Mesdames et messieurs, nous flottons dans l’espace), première phrase de l’album énoncé comme une annonce par une blanche voix féminine, est d’abord surprenant par son design, l’album étant présenté comme une boîte de médicaments avec sa notice « Spiritualized is used to treat the heart and soul » (Spiritualized est utilisé pour soigner le cœur et l’âme). Jason Pierce et ses comparses (dont sa compagne et pianiste Kate Radley, qui allait le quitter peu après pour Richard Ashcroft, leader de the Verve…) allaient prouver que le remède était d’une imparable efficacité. Dans cet album majeur de la fin des années quatre-vingt-dix, Pierce met au point la formule dont il ne déviera plus, en agrémentant son drone rock d’influences blues et gospel et en créant pour cela un fabuleux mur du son redevable aux productions de Phil Spector et de Brian Wilson, avec débauche d’arrangements et d’instruments, multiples guitares, cordes, cuivres, claviers, chœurs, harmonica… C’est manifeste est d’une grande éloquence dans Come Together, I Think I’m In Love et Electricity, pépites incontournables de cet excellent album.

Les albums qui suivirent sont presque tous aussi bons, certains présentant des arrangements encore plus foisonnants (« Let It All Come Down », en 2001, a nécessité la bagatelle de cent-vingt musiciens pour se faire. Quand on entend le single Do It All Over Again, on se dit que ça le méritait… D’autres sont plus fragiles, comme « Songs in A&E » (2008), jeu de mots qui peut à la fois signifier «chansons en La et en Mi » et « chansons aux Urgences » car Jason Pierce a souffert de très graves problèmes respiratoires et passé beaucoup de temps à l’hôpital pendant sa conception, cet album convalescent où l’élément blues prend le dessus est souvent bouleversant, comme dans la superbe complainte Soul On Fire. « Sweet Heart, Sweet Light » en 2012 renoue avec la pop et aligne d’excellentes chansons comme la très rock Hey Jane ou la merveille soul Little Girl (louons les qualités cinématographique et scénaristique des deux vidéos les illustrant).

Le nouvel et neuvième album de Spiritualized « Everything Was Beautiful » sortira le 22 avril. Ne comportant que sept titres, il a été précédé par trois singles, Always Together With You étant le premier. Suivent l’émouvante ballade aux accents country où pleure une pedal steel Crazy et la duelle The Mainline Song/The Lockdown Song. Confinement que le misanthrope paranoïaque qu’est devenu Jason Pierce a vécu comme une bénédiction… Le design représente une nouvelle fois une boite de médicaments, cette fois-co dépliée et qui masque en partie un paysage flou qu’on imagine magnifique. Si sur la foi des similitudes des pochettes cet album était de la teneur de « Ladies And Gentlemen, We Are Floating In Space », on peut s’attendre à quelque chose d’absolument grandiose…