« Let’s get Brexit fucked by a horse’s penis », tel est l’incendiaire slogan fièrement déclamé par Jason Williamson dans « Out There » au centre du nouvel album de Sleaford Mods, Spare Ribs (soit « côtes levées », une pièce de porc pour cuisson au barbecue). Comme quoi un duo intrinsèquement britannique n’approuve pas le choix adopté par les plus insulaires des Anglais. Sixième album du duo composé de Jason Williamson (voix) et Andrew Fearn (musique), Spare Ribs est aussi le plus varié et le plus « pop », voire mélodique, de leur répertoire et permet ainsi à un plus large public de pénétrer dans l’univers d’un quotidien horrifique et drolatique dessiné par Sleaford Mods.
J’étais tombé complètement par hasard sur un de leurs concerts à Rock en Seine en 2017 je crois et avais été soufflé par l’énergie punk dégagée par ces deux escogriffes à la quarantaine bien marquée, ne s’appuyant que sur un accompagnement musical minimaliste et décharné et pourtant idéal pour que s’y amarre la bile post-punk crachée par le « chanteur ». Son Sprechgesang (rien à voir avec une scansion rap ou même slam, mais les textes sont déclamés en parlant) chargé d’un fort accent des Midlands trouvant parfaitement sa place au milieu du pilonnage rythmique redevable au post-punk, à la drum n’bass et au hip hop. Boîtes à rythme en tachycardie, lignes de basse martelées, riffs de guitare punk, synthés roboratifs sont assemblés chirurgicalement par le musicien avec l’aide de son simple mac et le résultat est optimal. La démarche musicale de Sleaford Mods rappelle évidemment celle du duo New-yorkais Suicide à la fin des 70’s, proposant une expressivité maximaliste sur un accompagnement certes minimaliste, mais oh combien puissant. Mais là où le crooner dark Alan Vega s’inspirait du rockabilly et du doo-wop, Jason Williamson convoque la hargne insolente et vindicative du punk anglais de la grande époque, mais aussi l’ironie et le discours politique et social de Mark E. Smith, feu et atrabilaire leader de the Fall et référence absolue de tout le post-punk actuel.
Grandi à Grantham dans le Lincolnshire (bled où le père de Margaret Thatcher avait son épicerie, ça ne s’invente pas…), Jason Williamson était fan du mouvement mod et du Wu Tang Clan et a essayé d’intégrer le music business sans grand succès, au mieux comme musicien de session, avec Spiritualized par exemple. En 2007, son ami Simon Parfrement lui demande poser sa voix sur un simple jungle de Roni Size, et ils montent ainsi un premier projet baptisé That’s Shit, Try Harder (c’est de la merde, recommencez !) rapidement changé en Sleaford Mods (Sleaford étant un village près de Grantham). Après cinq albums (jusqu’à Wank en 2012), Parfrement se tourne vers la photographie et Williamson forme un nouveau duo avec Andrew Fearn, qu’il a entendu mixer un bon son grime dans un club de Nottingham. Sleaford Mods seconde version prend alors une toute autre dimension, le duo se taillant une belle réputation en live, où un public fidèle reprend par cœur les diatribes et les commentaires sociétaux enflammés du chanteur à la langue acérée. Quelques collaborations (the Prodigy, Leftfield, Baxter Dury…) les intronisent dans le peloton de tête du post punk britannique, mais les deux compères, peu intéressés par les mondanités restent viscéralement des prolos des Midlands de l’Est, se pelotonnent à Nottingham et s’évertuent à éditer des albums suivant la même ligne intransigeante.
Spare Ribs, enregistré pendant une fenêtre de trois semaines au beau milieu du confinement et sorti mi-janvier 2021 s’impose donc comme l’album le plus convaincant réalisé par le duo d’aujourd’hui cinquantenaires (gageure peu commune dans le rock, Jason Williamson en étant à son onzième album et le duo à son sixième !). Par la variété des styles musicaux abordés, l’ouverture faite aux mélodies (on se surprend à constater que Williamson chante…) et l’excellence du son, quand bien même l’esthétique less is more est toujours de mise. Enfin, le duo ouvre son domaine à des invité(e)s sur certaines chansons, comme « Nudge It » (donne lui un coup de coude) qui accueille Amy Taylor, chanteuse du jeune groupe punk garage australien Amyl & the Sniffers. On se déhanchera sans problème sur ces riffs post punk tordus et ces beats hip hop, et on ricanera quand Williamson tacle ces poseurs qui se la jouent racaille « stood outside a high-rise, trying to act like a gangster » (debout devant une tour, essayant de se la jouer gangster). Le couplet et les choeurs pétulants d’Amy Taylor boostant l’ensemble avec un grand sourire. « Nudge It » est le hit évident de Spare Ribs, mais n’est pas le seul… « Shortcummings » est une charge sauvage contre le ministre porte-flingue du gouvernement Johnson Dominic Cummings, artisan du Brexit impliqué dans de nombreuses ingérences et qui avait défrayé la chronique en violant ouvertement le confinement, le tout sur une entêtante ligne de basse. « Mork n’Mindy », sombre souvenir d’une enfance pétrifiée par l’ennui banlieusard propose un habillage electro gothique et le featuring de la chanteuse Billy Nomates. Dans « Elocution », Jason Williamson se moque de ces groupes pop chic sans portée sociale et balance le scud « I wish I had the time to be a wanker just like you » (j’aimerais avoir le temps d’être un branleur comme toi). Ca fait mal, mais c’est si drôle et on peut pogoter dessus. L’album termine avec la tendre « Fishcakes », quand Williamson le sniper se retourne sur toutes les choses simples qu’il aimait enfant et qu’il se recentre sur ce qui est son essence. Premier grand disque rock de 2021, Spare Ribs devrait nous tenir compagnie longtemps.. Et si les anglicistes se repaitront des savoureuses paroles, les autres y trouveront sans nul doute bien des motifs de satisfaction…