Un souffle de voix diaphanes mêlées, une électro pop sensible et vaporeuse, des beats martelés sur du coton, « A tes côtés » semble planer dans l’éther. Cette apparente immatérialité enrobe pourtant une mélodie puissante qui s’immisce en douce dans votre cerveau. Ne tiendrait-on pas là l’une des chansons en français les plus fortes du moment ? N’importe qui ayant déjà prêté l’oreille à celles réalisées par Malik Djoudi ne sera pas surpris.
Poitevin d’origine algérienne et vietnamienne à la formation musicale précoce, Malik Djoudi vient de s’installer à Paris. Ce jeune quarantenaire a déjà connu plusieurs vies, a chanté en anglais et joué de la guitare et des claviers dans diverses formations rock et pop, a composé de la musique pour des spectacles de danse qui l’ont emmené dans le monde entier et des génériques d’émissions TV qu’il a préféré oublier, tout cela pour songer sérieusement à arrêter la musique. Un voyage vers ses racines, au Vietnam, l’a poussé à l’introspection et l’a inspiré à travailler seul sur un projet musical enfin personnel. Grâce à l’argent des génériques, il peut s’offrir un studio maison dans lequel il va composer et enregistrer des chansons comme on fait une catharsis, utilisant cette fois et pour de bon la langue française, pour ne plus avoir à se cacher. Un premier album en 2017 , « Un », auto-produit trouve asile sur le label underground La Souterraine. Il diffuse une électro soft avec guitares noyées de réverbération, électro inspirée par James Blake comme par les albums 80 d’Etienne Daho. Celui-ci ne tarde pas à remarquer l’évidente filiation de sa musique et de celle de Malik Djoudi et l’invite en première partie de ses tournées. « Un » fait aussi penser à Christophe quand on entend ces mots économes chantés d’une voix androgyne nimbée d’écho. Un mini-tube « Sous garantie » permet au disque d’être distribué par Cinq7, excellent label hôte de la très bonne chanson française évolutive (Philippe Katerine, Bertrand Belin, Dominique A pour ne citer qu’eux). Jetez une oreille sur ce bon premier disque, en particulier sur « Cinéma », bel effort électro pop où Djoudi cisèle les mots avec un talent certain.
C’est chez Cinq7 que sort en avril 2019 « Tempéraments », second album de Malik Djoudi, dans la droite lignée du premier album, avec quelques moyens supplémentaires. Ainsi, le compositeur a pu compter sur l’appui (et le studio) d’Ash Workman, producteur de Metronomy et du regretté Philippe Zdar au mixage, assouvissant ainsi de bien beaux fantasmes musicaux. On y trouve un sens de la pop assez exacerbé, un bon goût certain dans les arrangements à la fois minimalistes et enveloppants, souvent surprenants et d’excellentes compositions (« Tempérament », « Belles sueurs », « Epouser la nuit »…) qui placent Malik Djoudi tout au dessus de la chanson electro pop, aux côtés de deux autres bébés Daho, Perez (SOTW #149) et Lescop (SOTW #100). « Tempéraments » est ce genre d’album destiné à devenir disque de chevet, à vous accompagner loin et longtemps.
J’éprouve une tendresse particulière pour le duo entre le maître et l’élève « A tes côtés », belle chanson sur l’amitié (il n’y en a pas tant que ça, commente Etienne Daho) mixée justement par Zdar, lui aussi ami très cher du parrain de la pop française. Le manège tintinnabulant électro qui habille le refrain évoque les travaux de Sébastien Tellier, autre sacrée figure de la musique made in France. Dansante tout en étant flottante, d’une grande élégance mélodique et esthétique, la chanson est une merveille d’équilibre où brillent les deux voix siamoises mêlées (cela prend un certain moment pour discerner qui chante quoi, mais tout devient vite évident) en un souffle enveloppant pas exempt (loin de là) de sensualité. M’est avis que ce genre de son cocon réchauffera notre automne.