Et si la variété n’était plus un terme infamant ? Ces chansons en français aux atours pop dans l’air du temps parfaitement radiophoniques ont constitué ce sous-genre qui a traumatisé des générations, dont la mienne. Ce qu’il y a de drôle, et d’injuste, c’est que la même chose en anglais n’a jamais posé problème à quiconque, la pop middle of the road anglaise ou américaine ayant même ses fervents supporters. Toutefois, les choses semblent enfin être en train de changer en France, peut-être grâce à la mainmise indiscutable d’un mauvais rap sur le public teenager. A côté, les interprètes pop qui suivent le chemin tracé par Etienne Daho, Françoise Hardy voire Michel Berger ont des airs autrement plus sophistiqués et mélomanes et on peut se surprendre à leur trouver des vertus.
Ainsi, je me suis rendu au concert (bondé) de Clara Luciani dans la salle locale et ai été plus qu’agréablement surpris, et totalement charmé, par la grande jeune femme aux faux airs d’une Françoise Hardy seventies. Au départ, c’était pour accompagner une amie à laquelle j’avais offert la place pour son anniversaire. Je ne l’ai pas regretté. Certes, je connaissais et appréciais déjà son tube certifié « La Grenade », chanson vigoureuse et dansante au contenu féministe mais je ne m’attendais pas à une telle qualité d’écriture et d’interprétation, avec groupe serré (on peut jurer que ses musiciens jouent du rock dur dans le civil), chansons arrangées pour le live sans fioritures et un timbre ensorcelant, étonnement grave mais capable d’envolées célestes en voix de tête, des choses que j’aime sincèrement en somme. Son opera prima « Sainte-Victoire » (nom de cette chaîne de montagne du pays d’Aix-en-Provence, d’où elle vient) la présente comme une femme devenue forte, peu encline à se lamenter (« On ne meurt pas d’amour » en est l’un des titres forts) après avoir pleuré toutes ses larmes dans son premier EP « Monstre d’amour », où elle a exorcisé une grosse déception amoureuse. Cet album a été enregistré avec la fine fleur de la pop made in France, Ambroise Willaume alias SAGE, ex-Revolver, Benjamin Lebeau (l’un des deux Shoes) et Yuksek, des sound doctors aux oreilles en or qui ont su façonner un son à la fois chaleureux, exigeant et parfaitement radiophonique. Il faut reconnaître que le niveau d’écriture est constant tout au long de l’album, avec des chansons vraiment réussies comme « Eddy » ou « Les Fleurs ». Et avec en cerise sur le gâteau une cover à la fois digne et solaire du « The Bay » de Metronomy, retitré « La Baie ». La dame prouve une autre fois qu’elle a bon goût en reprenant sur scène avec une sensibilité à fleur de peau le sublime « Blue Jeans » de Lana del Rey qui devient, bien sûr, « Jean bleu »… Deux choix comme des professions de foi.
Après une tournée qui aura duré plus d’un an qui s’achève d’une façon triomphale, ponctuée par une victoire de la musique « révélation scène » qui équivaut à une vaste reconnaissance populaire, Clara Luciani ressort une version de « Sainte-Victoire » agrémentée de quatre titres sont le nouveau single « Nue ». Comme dans « la Grenade », c’est une ligne de basse pop funky qui mène la danse, soulignée par une batterie disco et des cocottes de guitare qui installent un groove aussi immédiat qu’irrésistible qui devrait cartonner sur les pistes. Chanson introspective sous des atours festifs où la jeune femme s’interroge sur le tourbillon de succès dans lequel elle s’est engouffrée et qui l’a apparemment transformée. Elle s’en amuse dans le clip aux couleurs sixties où Arthur Teboul de Feu! Chatterton fait un joli featuring. Fin de l’innocence ? Elle qui avait commencé comme chanteuse invitée dans le groupe néo-yéyé la Femme avant d’être adoubée par le parrain Benjamin Biolay fait désormais partie de l’aristocratie de la chanson pop, classe et moderne. Clara Luciani devra transformer l’essai, ne pas tomber dans l’écueil de difficile second album forcément plus fade. On ne saurait trop s’inquiéter, cette auteure-compositrice douée a sans aucun doute la carrure nécessaire pour relever ce défi.