J’ai eu la joie d’assister mercredi 30 mai au concert de Dominique A à la Vapeur, salle dijonnaise récemment rénovée de superbe façon et qui permet une rare intimité entre les artistes et le public. L’artiste réinstallé à Nantes, ville où il passa ses années de lycée puis de faculté et joua dans ses premiers groupes occupe une place à part dans la chanson en français. En effet, s’il a choisi dès le départ de s’exprimer dans sa langue maternelle, ses influences viennent clairement d’Angleterre, Dominique A ayant dès l’adolescence manifesté un goût pour le punk avant de flasher irrémédiablement pour sa suite logique que fut la new wave. Et à la fin des années quatre-vingt, Dominique A devint un fervent supporter de toute une indie pop raffinée. De son premier album bricolé tout seul dans sa chambre (« Un disque sourd » en 1991) à aujourd’hui, les sonorités des disques de Dominique A ne doivent pas grand chose à la musique française traditionnelle, à la chanson à texte ou à la variété. En revanche, les guitares tantôt agressives et saccadées, tantôt joliment pastorales comme les synthés vintage et les claviers electro-pop nous emmènent clairement de l’autre côté de la Manche. Un rêve pour la rédaction des Inrocks en somme tant les chansons de Dominique A cochent toutes les cases du bon goût selon la bible rock indé d’ici.
C’est bien évidemment caricatural. Car si Dominique A est un musicien aussi original qu’accompli (il suffit de l’entendre à la guitare en concert pour en être convaincu) doublé d’un chanteur singulier à la belle voix claire très modulée mais jamais maniérée, c’est aussi un auteur remarquable. Sa langue est précise, élégante, intemporelle et elle ne cède jamais aux sirènes des effets de mode. Ses textes, très souvent existentialistes utilisent souvent le « je » ou le « nous », partent du très intime pour tutoyer l’universel, qualité intrinsèque d’un musicien qui est aussi écrivain. Enfin, chacun de ses albums a une touche musicale bien à lui et il semble que l’artiste n’aime pas se répéter. J’avais déjà chroniqué son enivrant « Hasta que el cuerpo aguante » (SOTW #20), extrait du disque en solitaire aux sonorités minimalistes et electro « La Musique » (2009). Le nouvel album reprend les choses là où il les avait laissées à ce moment-là et les emmène dans une nouvelle direction.
Pour « Toute Latitude », son onzième album sorti cet année, le déclic est venu de l’acquisition d’une boîte à rythmes analogue allemande, une Tanzbär autour de laquelle il a bâti la pâte sonore de l’album où s’entremêlent claviers, guitares, basses charnues et rythmes mécaniques. L’album s’ouvre avec « Cycle », mélopée carrousel très typique de sa façon de composer, à l’ostinato insistant et à la mélodie lumineuse. De ces chansons taillées pour vous rester vissées dans le crâne pour longtemps et on ne s’en plaindra pas cette fois-ci. Le thème, à la fois léger et mélancolique, parle de la fuite du temps et des irrémédiables mutations qu’elle cause. La chanson titre est de la même veine electro-folk et est une très belle évocation nostalgique de la jeunesse, évidemment passée. Les morceaux up-tempo tels « La mort d’un oiseau » et « La clairière » claquent comme des fouets. Les spoken words susurrés sur groove electro-rock sombre et inquiétant de « Les deux côtés d’une ombre » et plus encore « Corps de ferme à l’abandon » ouvrent par contre une voie nouvelle et intrigante, s’insérant parfaitement dans la tracklist de cet excellent album, qui gagne en puissance à chaque nouvelle écoute, prouvant s’il le fallait la remarquable régularité artistique de Dominique A.
Concert live filmé in extenso à la Philharmonie. « Cycle » ouvre le show comme il ouvre l’album mais apporte un final aux guitares fulgurantes qui ne figure pas dans la version studio. L’écoute, comme la vision du reste du concert sont hautement recommandées !