SOTW #153 : Damn, Dis-moi/Girlfriend, Christine & the Queens (feat. Dâm-Funk)

Il y a trois ou quatre ans, mon amie Christine (!) me confiait ne pas comprendre, mais alors pas comprendre du tout l’engouement qu’avait suscité le premier album de Christine & the Queens. Il est vrai qu’en 2014-2015, « Chaleur Humaine » avait connu un succès retentissant, surtout avec les tubes certifiés « Saint Claude » et « Christine », sans parler du mash-up (pour le coup carrément bien vu) entre « Les Paradis Perdus » de Christophe et « Heartless » de Kanye West. Je n’étais pour autant pas plus impressionné que ça et me rangeais plutôt du côté de Christine (pas la chanteuse), même si je reconnaissais que cette tentative de R n’B à la française était plutôt réussie, en tous les cas suffisamment originale pour me faire lever le sourcil. J’étais donc loin de me douter que ce single avant coureur d’un second album me séduirait autant.

Christine & the Queens est l’avatar artistique de la Française Héloïse Letissier. Cette Nantaise, passée par la danse, khâgne et le Conservatoire d’Art Dramatique de Lyon s’était réfugiée à Londres pour sortir d’une rupture amoureuse où elle se mit à fréquenter assidûment les clubs de transformistes comme Madame Jojo et à devenir amie avec de nombreuses drag queens. Rencontres fécondes qui lui donnèrent l’inspiration pour créer un spectacle mêlant musique et performance et baptisé Christine & the Queens. Avec une certaine audace, elle imagine un show mêlant toute l’emphase de Broadway, une philosophie transgenre et une musique à mi-chemin entre le R n’B à l’américaine et la chanson française, un genre de mix William Sheller meets Beyoncé assez culotté et efficace, grâce à un son minimaliste qui n’est pas sans évoquer les travaux de Drake. D’une façon assez naïve, Christine & the Queens était en plein dans le Zeitgeist de 2015 et c’est ce qui a sans doute séduit tout le monde, le grand public comme les branchés, Beyoncé comme Madonna (qui l’invite sur scène) et l’hebdo américain Time Magazine qui la consacre « personnalité française la plus influente de l’année » en 2016. Plus anecdotiquement, elle se paie le luxe d’enregistrer des duos avec Booba (!) et Perfume Genius (là par contre, c’est la classe). Ce retour surprise avec un nouveau single devait donc forcément être scruté avec la plus grande curiosité.

Surgie de nulle part, la nouvelle incarnation d’Héloïse s’appelle Chris, tout court. Court comme le cheveu de la chanteuse, qui a adopté un look à la fois butch et androgyne, celui d’une fille travestie en Marlon Brando. Celle qui s’annonçait pansexuelle dans les talk-shows télévisés enfonce le clou de l’ambiguité et de la fluidité de genre avec cette apparence de fille macho (ou de garçon fille), conquérante et portant définitivement la culotte. Encore une fois, Chris est parfaitement dans l’air du temps où la lutte des femmes pour l’égalité et le respect fait l’actualité.

« Damn, dis-moi » (« Girlfriend » pour la version anglophone sortie simultanément) rappelle instantanément l’âge d’or de la pop funk des eighties, avec ses claviers ouatés, son rythme synthétique entêtant et son lick de guitare funk qui lorgne du côtés des productions de Michael Jackson (son héros absolu) mais avec un côté R n’B parfaitement contemporain dans la mise en son et les multiples pistes de voix qui s’entremêlent. Entre un phrasé inspiré par le rap scandé d’une articulation transatlantique pas forcément simple à comprendre et un solo qui montre qu’elle a une voix gorgée de soul, Chris installe tranquillement un style vocal éminemment reconnaissable. Notons que pour « Damn, dis-moi », la Française a collaboré avec l’artiste californien Dâm-Funk, producteur, musicien et vocaliste, figure reconnue du style modern funk. Par ce featuring aussi pointu que prestigieux, Chris prouve sans peine qu’elle fait partie, définitivement, de la première division de la pop internationale. Pas mal pour une petite Nantaise qui aime porter le costume d’homme… « Touché, touché, touché » , préparez-vous à danser là-dessus tout l’été !

Live TV « Later… with Jools Holland »