SOTW #139 : Connected by Love, Jack White

« Boarding House Reach », le troisième album solo de Jack White, premier depuis quatre ans et à paraître incessamment risque de surprendre son public, tant le musicien de Detroit semble avoir pris beaucoup de risques pour accoucher de ce nouvel opus. On ne peut que s’en réjouir, tant Jack White s’était transformé en gardien du temple d’une certaine idée du rock, en prise directe avec les racines blues du genre et finalement rétive à toute idée d’évolution. Pourtant, de la fin des nineties au milieu des années zéro, au sein de son génial duo The White Stripes, il avait considérablement dépoussiéré le genre rock, alliant une pulsion rythmique néandertalienne (le jeu de batterie de Meg White) à une incroyable richesse mélodique et une musicalité exceptionnelle (Jack White est non seulement un guitariste au son et au toucher géniaux, c’est aussi un organiste plus qu’inspiré), le tout servi avec une allure d’une impeccable élégance. La discographie des White Stripes est intouchable, jetez une oreille sur « White Blood Cells » ou « Elephant » et vous aurez affaire à deux des plus grands disques de rock contemporain, en prise directe sur les racines mais résolument en quête d’aventure et d’avenir.

Au sein de ses divers « side projects », The Raconteurs (bien, surtout le premier album) ou The Dead Weather (plus roboratif), dans ses deux premiers très honorables sinon géniaux albums solo et plus encore dans la gestion à Nashville de son label Third Man Records, Jack White s’est transformé en thuriféraire d’un âge d’or du rock, fantasmé certes mais qu’on pourrait aisément exposer dans un musée d’archéologie. Alors quelle surprise on ressent à l’écoute de « Connected by Love ». L’intro interroge, un son rampant de synthétiseur installe une ambiance sombre, presque krautrock, les percussions (synthétiques ?) sont éparses, et il faut le miaulement de cette inimitable voix étranglée et aiguë implorant « Release me » pour savoir où l’on est. Oui, ceci est bien du Jack White. On se retrouve sur un terrain plus connu avec le refrain, grâce à cet orgue soul au son énorme, à cette tranquille rythmique groovy et à ces gouleyants choeurs gospel (les McCrary Sisters, groupe emblématique du genre de Nashville). Cette version futuriste de la ballade blues gospel me rappelle irrésistiblement celle que Depeche Mode déclinait dans les années 90, eux venant de la rive électro pop. Et l’on se retrouve au même endroit, au milieu du gué.

Ballade up-tempo et nerveuse, « Connected By Love » n’en est pas moins très intelligemment construite. Intro intrigante, refrain rassurant et la sauce monte progressivement, avec introduction des choeurs, solos d’orgue Hammond assez héroïque, puis de guitare crépitante et suraiguë, typique du style de Jack White mais avec ce je ne sais quoi de nouveau. Ce solo étant le seul moment du morceau où on entend de la guitare. Quand, en parfait anti-climax la tension retombe pour ne garder que la mélodie du couplet susurrée et de simples accords de piano, c’est pour mieux exploser en un final tout en profusion tonitruant et mélodramatique, certes assez convenu mais bougrement efficace. Un vrai jeu d’enfant pour ce maître du genre, qui affiche ainsi une forme éblouissante.