Ce vendredi 10 février 2017, Mauro Pawlowski a joué pour la dernière fois avec ses camarades de dEUS, mettant fin à une fertile collaboration qui aura duré treize ans. Ce concert exceptionnel (ainsi que le warm-up show de la veille) s’est bien sur tenu dans la bonne ville d’Anvers, base du meilleur groupe belge de tous les temps. On peut arguer qu’un musicien quittant un groupe n’est pas une information capitale, tout juste une péripétie. D’ailleurs, dEUS a en vu défiler un bon nombre depuis ses débuts au début des 90’s, se succédant aux côtés des inamovibles Tom Barman (chant, guitare et principal compositeur) et Klaas Janzoons (violon et claviers). Mais l’apport de ce guitariste racé au ténébreux physique a été d’une importance capitale dans dEUS, Mauro Pawlowski y alternant avec bonheur les ambiances atmosphériques, les solos virtuoses et les assauts bruitistes, tel Blixa Bargeld au sein des Bad Seeds. Ajoutons sa belle voix dans un haut registre (contrepoint idéal de celle, rauque et parfois sarcastique de Tom Barman) et une présence magnétique et épileptique sur scène. Las, Mauro Pawlowski part vers d’autres aventures avec élégance et on peut gager que le groupe aura bien du mal à le remplacer. J’aurais tant aimé assister à sa dernière au sein de dEUS à Anvers…
J’ai choisi pour illustrer mon propos la première chanson du premier disque de dEUS où a participé Mauro Pawlowski, « Bad Timing » de « Pocket Revolution », immarcescible chef d’oeuvre du groupe flamand sorti en 2005 dont je n’arrive pas à me lasser et que je vous recommande ardemment. La plainte dissonante d’un e-bow (genre d’archet électronique pour guitare) pose un climat lourd et inquiet, prélude d’un ostinato tendu qui va crescendo jusqu’à un voluptueux climax. Si tout au long du marathon « Bad Timing » (plus de sept minutes au compteur) dEUS rompt avec les structures acrobatiques qui caractérisaient ses chansons du début (telle la dadaïste quoique si funky « Fell Off The Floor, Man », qu’on jurerait inspirée par Captain Beefheart), le groupe ne renonce pas aux embardées électriques tonitruantes, aux brutales accélérations rock qui créent de vertigineux reliefs. Le ciel se charge tout le long de cette chanson, la mélodie devient mélopée, l’orage gronde avec fureur avant une accalmie qui permet à la foudre de frapper de plus belle. Bien sur le texte, à l’avenant, parle d’une angoissante obsession amoureuse qui ne rencontre pas sa simultanéité. Lui aime elle sans retour, puis c’est l’inverse. Mauvais timing, mais la musique, elle, est d’une redoutable efficacité tout en ne cédant jamais à l’évidence ni à la facilité.
Souvenir toujours vivace d’un extraordinaire concert à la Vapeur à Dijon en automne 2005 où je ne suis pas le seul à avoir pris une baffe colossale (les intéressés se reconnaîtront!). La classe de dEUS en live est insolente. Souvent joué en fin de set, voire en rappel, « Bad Timing » est depuis un moment incontournable de tout concert de dEUS. Autre souvenir, celle de la longiligne silhouette de Mauro Pawlowski déambulant dans un parc à Bourges, avant leur set lors du Printemps 2006. Et lui aussi, on peut dire qu’il l’a, la classe!
Live Sziget 2012: