La vague « stoner » rock qui a refait surface ces vingt dernières années n’a pas grand chose en commun avec ses origines. Car si le mouvement a fait beaucoup d’émules récemment, en particulier en Scandinavie et en France, il est né dans la plus pure confidentialité à la fin des années 1980 dans le désert californien. Imaginez des bleds pourris à deux heures des portes de Los Angeles, où le soleil brûle l’asphalte neuf mois sur douze. C’est dans cet environnement poussiéreux, entre les cactus et les maisons de retraite, qu’une frange alternative de la jeunesse se regroupait pour des jams psychédéliques autour de générateurs lors de fêtes pouvant durer plusieurs jours. Nourri à Black Sabbath et au punk hardcore de la cité des anges, Kyuss reste considéré comme le groupe le plus influent de cette scène qui ne fera parler d’elle que bien des années plus tard. Formé par une bande d’adolescents passionnée de science-fiction et de produits illicites à la fin des années 1980, le groupe se démarque en restant à la marge du mouvement grunge. Chez Kyuss, on ne retrouve pas d’envolée pop ni de postures mielleuses qui pourraient amadouer les foules. Bien au contraire, le quatuor préfère miser sur de rugueuses improvisations interstellaires de plusieurs minutes. Cette attitude rebelle séduit tout de même Elektra qui sort « Welcome to the Sky Valley » au mois de juin de 1994. Dans un vacarme assourdissant, John Garcia se démarque comme un des chanteurs les plus puissants de sa génération. Sa prose frappe comme un marteau, pendant que le petit Josh Homme (le rouquin n’avait alors que 21 ans) pose des accords lourds et distille quelques riffs lancinants qui deviendront par la suite sa marque de fabrique. On pose la galette sur le tourne-disque et la symphonie commence. « Gardenia » résonne et on se demande si nos enceintes vont tenir le coup. Dans un déluge de fuzz, le groupe navigue sur une ligne de basse poisseuse, guidé par un Garcia particulièrement agressif. Kyuss fait presque dans le mystique sur « Asteroid » et son riff de guitare malsain. En alternant passages bourrins et délires psychédéliques, la formation perd l’auditeur, qui se prend une claque à chaque fois que Homme piétine sa Big Muff (« Demon Cleaner », « N.O. »). Et quand il calme ses ardeurs, c’est pour broder une des rares accalmies au milieu d’un océan de distorsion. Avec « Space Cadet », Kyuss signe en effet son « Planet Caravan ». Ce blues semi-acoustique monte en puissance sans jamais exploser. Du grand art, qui fait mieux digérer la deuxième face du disque, brutale à souhait. En flirtant avec le hard rock, le métal, le rock psychédélique et le krautrock, Kyuss brouille les pistes. Il faudra pourtant attendre la dissolution du groupe et la création de Queens of the Stone Age pour que le groupe soit enfin considéré à sa juste valeur. Pionnier d’un mouvement qui s’est désormais largement perdu dans le hard rock de bas étage, Kyuss a transformé le rock lourd de Black Sabbath en quelque chose de bouillant et de totalement halluciné. Une prouesse.
Année : 1994
Origine : Etats-Unis
Pépite : « Odyssey »
Eat : Un steak de bison
Drink : Un litre de mezcal
Si j’avais dû parier sur le futur de Kings of Leon, j’aurais perdu beaucoup d’argent. Rien ne laissait présager que les trois frangins et leur cousin du Tennessee se transformeraient en une machine fade et policée à produire des tubes aussi infectes que le dernier single de U2. Avec leurs barbes anachroniques (en 2003, seul le gendarme à moustache du coin de la rue fréquentait un barbier) et leurs dégaines de ploucs tout droit sortis d’un mauvais film américain, les Kings of Leon avaient réussi une belle OPA sur un rock plutôt porté sur le glamour. Oui, on est bien loin du gentleman chic et décalé façon Strokes et du dandy de Brick Lane façon Libertines. Pourtant, avec leur côté Creedence Clearwater Revival et les accents qui sentent bon la paille fraîchement séchée, les Kings of Leon s’étaient imposés comme une des sensations musicales les plus excitantes de ce nouveau siècle. Ce premier album, aussi rural que naïf, avait jeté une vague de fraîcheur plutôt agréable sur une scène garage qui commençait à atteindre ses limites. Cradingue, parfois limite hésitant, le chant de Caleb Followill sur « Youth and Young Manhood » n’a pas grand chose à voir avec ce qu’il est aujourd’hui. Tel un pasteur atteint d’une méchante gueule de bois, le plus timide des frangins Followill ressuscite un style popularisé par John Fogerty. On pense au Creedence de « Green River » ou « Suzie Q ». A la frontière avec la country et le rock sudiste, les titres ont pourtant une sensibilité pop qui les rend particulièrement irrésistibles (« Red Morning Light », « California Waiting »). Les musiciens, qui n’avaient à l’époque pas l’age légal de commander une binouze au comptoir de leur diner préféré, surprennent par leur décontraction. Ce côté foufou donne un côté attachant à la formation qui signera des hymnes adolescents totalement inoubliables, telle la mémorable « Molly’s Chambers » ou l’entêtante « Holly Roller Novocaine ». Jovial, les Kings of Leon reproduiront un effort similaire sur le « Aha Shake Heartbreak » sorti un an plus tard avant de sombrer dans la facilité et de commettre l’erreur impardonnable de raser leur barbe. On n’a toujours pas digéré.
Année : 2003
Origine : Etats-Unis
Pépite : « California Waiting »
Eat : Un double baconator
Drink : Four Roses
Troisième album du génial Kyle Thomas, connu sous le pseudonyme de King Tuff, « Black Moon Spell » a mis un peu de power pop sucrée dans l’année musicale 2014. Membre actif de la scène garage actuelle, homme à la six corde et à la combinaison orange chez The Muggers (qui ont accompagné Ty Segall sur son avant dernier opus), cerveau derrière le projet sabbathien Witch en compagnie de J. Mascis de Dinosaur Jr, King Tuff n’a plus besoin de présentation. Excellent du début à la fin, ce disque montre que la scène garage pop américaine a de beaux jours devant elle. Fans de Kiss, de Cheap Trick ou de punk new yorkais, voici votre nouvel album favori. Avec une production ultra-léchée, des accents pops complètement assumés, King Tuff remet un peu de soleil dans le rock américain. Voici un disque qui met le smile, sans prétention, qui prend presque des tournures glam rock sur certains titres sans jamais faire dans la vulgarité (« Rainbow’s Run », « Beautiful Thing » qui ressusciterait presque Marc Bolan, ou la succulente « Madness »). Autre grand moment de rock bien calibré sur le morceau éponyme de l’album, qui s’ouvre sur un riff colossal réchauffé par un son de fuzz qui semble tout droit sorti du début des seventies, avant d’évoluer vers un refrain bubblegum qui risque de vous hanter plusieurs jours. Même combat sur les hymnes garage pop « Headbanger » et « Sick Mind », sur lequel l’ami King Tuff fait couiner sa Gibson SG avec un certain talent. Sur « I Love You Ugly », le natif du Vermont se la joue Black Lips avec une ballade lo-fi sans prétention aux paroles légères. On retrouve cette même légèreté sur « Eyes Of The Muse » et son gimmick de guitare stonien. L’album termine en beauté sur une power ballade glam qui se clôt dans une marre d’écho et de feedback. Sans trop se prendre au sérieux, King Tuff est en passe de s’imposer comme l’un des personnages les plus intrigants du rock nord-américain actuel. Fidèle à Burger Records et Sub Pop Records, l’homme aux Rayban aviators et à la casquette trucker vissée sur la tête n’a pas fini de faire parler de lui, pour le plus grand bonheur des amateurs de rock n’roll. Faites moi confiance, ce disque est une petite perle qui mérite largement sa place parmi les disques les plus agréables de ces dernières années. Délicieux.
Année : 2014
Origine : Etats-Unis
Pépite : « Black Moon Spell »
Eat : Queue de castor
Drink : Un sirop de grenadine