Bon. Il ne semble pas nécessaire de trop s’étendre sur la chanson éponyme de cet album. Sorti en 1971, soit un an après le lancement de « Plastic Ono Band », « Imagine » reste incontestablement le meilleur album solo post-Beatles des Fab Four. Il faut dire que John Lennon était particulièrement inspiré sur ce coup là. Le plus teigneux de la joyeuse bande de Liverpool passe quelques coups de fil à droite à gauche, histoire de s’entourer convenablement avant de lancer les sessions d’enregistrement de son deuxième album. George Harrison répond présent. Reste plus qu’à trouver un bassiste solide. C’est chose faite en la personne de Klaus Voorman, producteur et artiste de renom (il dessinera les pochettes de nombreuses pointures, des BeeGees à … Turbonegro). Disque à la saveur unique, « Imagine » nous plonge dans la country sur « Crippled Inside » et ses parties de guitare slide inoubliables. « Jealous Guy » et son intro au piano continue de faire larmoyer les plus solides d’entre nous. Ballade aux lyrics tellement universelles, elle reste une des pépites les plus magistrales de la carrière de Lennon. Intimiste, planante et mélancolique, elle symbolise à elle-même le génie du notre Beatles préféré. On lui pardonne même sa tentative soul avec « I Don’t Wanna Be A Soldier ». En pleine guerre du Vietnam, le musicien aux lunettes rondes et aux idéaux pacifistes recycle un vieux beat black et scande un refrain aussi naïf que pertinent. Puis vient la face B. « How Do You Sleep? » ne laisse personne indifférent. Comme un missile lancé en pleine figure à son ex-compère des Beatles, Lennon crache sa rancœur sans vergogne à grands coups de punchlines. Paul McCartney en prend pour son grade sur ce blues rock poisseux aux paroles tellement acides qu’elles feraient presque oublier le solo magistral de slide du benjamin de la bande, qui nous régale sur ce morceau au combien belliqueux. Aigri par des attaques dont il semble avoir été l’objet sur l’album « Ram » de son ancien camarade, Lennon ne mâche décidément pas ses mots. « Ces fous n’avaient sûrement pas tort quand ils t’ont déclaré mort » chante le compagnon de Yoko Ono en référence à ces fans des Beatles persuadés que la pochette d’Abbey Road annonçait secrètement la mort du bassiste du groupe. Sur « Imagine », Lennon se joue des contradictions qui font de lui un des personnages les plus insaisissables du paysage musical moderne. A la fois piquant et mielleux, « Imagine » régale.
Année : 1971
Origine : Royaume-Uni
Pépite : « How Do You Sleep? »
Eat : Tarte à la cerise
Drink : Famous Grouse Scotch
Loser déchu, Johnny Thunders aura marqué l’histoire du rock de bien des manières. Destiné à embrasser une carrière prometteuse de joueur de baseball, ce gamin du Queens a rapidement délaissé la batte pour la six cordes. Un choix qui s’est avéré gagnant puisqu’il est toujours considéré comme l’un des guitaristes les plus influents de sa génération. Avec ses cheveux en pétard et sa Les Paul DC Junior TV Yellow, ce petit-fils d’immigrés italiens s’est d’abord fait un nom avec les New York Dolls. Double maléfique du chanteur David Johansen, Thunders s’est employé à copier le duo Jagger-Richards en plus trash, plus putassier et plus destroy. Leur premier opus, chroniqué sur ce site il y a quelques semaines, a fait l’effet d’une bombe, du CBGB à Camden en passant par Pigalle et les clubs de rock de Tokyo. Après un second disque moyen, Thunders décide de tenter sa chance en solo en recrutant Richard Hell de Television et Walter Lure des Demons. Cette formation chaotique avec Jerry Nolan des Dolls sortira un album culte sous le nom de Johnny Thunders and the Heartbreakers. Trop de dope. Et d’innombrables galères qui pousseront Thunders à changer une nouvelle fois de line-up pour enfin décrocher le gros lot. « So Alone », sorti quelques mois après son coup d’essai avec les Heartbreakers, rompt avec le garage punk primaire de ses débuts. Thunders s’entoure bien et semble enfin prêt à montrer un visage plus vulnérable, plus humain. Avec « You Can’t Put Your Arms Around a Memory », le guitariste new-yorkais pond une des chansons les plus poignantes de la fin des années 1970. Cette ballade désuète résume bien le mal de vivre de son interprète, déchiré par l’héroïne et des montagnes de remords. Même combat sur la ballade « So Alone ». Triste prémonition, on retrouvera le corps de Thunders sans vie, seul avec une guitare dans les mains, dans une miteuse chambre d’hôtel de la Nouvelle Orléans une décennie plus tard. Malgré un ton noir et des ballades cafardeuses, l’album montre un Thunders appliqué et convaincant. Le guitariste rend hommage à la soul, au classic rock et au rock n’roll de son enfance. Il reprend même ses titres « Chatterbox » (renommé « Leave Me Alone ») et « Subway Train » avec une verve inattendue. Héros de la scène proto-punk des deux côtés de l’Atlantique, il invite Chrissie Hynde des Pretenders, Steve Jones des Sex Pistols, Phil Lynott de Thin Lizzy et Steve Marriott des Small Faces puis Humble Pie à se joindre à lui pour immortaliser ce qui reste l’album le plus poignant du Keith Richards du punk rock. Dévastant.
Année : 1978
Origine : Etats-Unis
Pépite : « You Can’t Put Your Arms Around a Memory »
Eat : Sandwich au rosebeef
Drink : Un brouilly
Au début des années 2000, l’Angleterre a tremblé. En l’espace de quelques mois, la perfide Albion se redécouvre une scène indé et fait des Libertines les nouveaux bad boys du Londres branché. Emmené par le duo Pete Doherty-Carl Barât, le groupe a tout pour séduire une jeunesse qui n’a que Coldplay et autres monstres soporifiques à se mettre sous l’oreille. Romantiques, insolents et épatants, le quatuor fait vite la couverture du NME qui voit en eux les Clash du 21e siècle. Pas étonnant donc que le label Rough Trade embauche Mick Jones, guitariste pionnier du punk anglais, pour produire le premier opus du groupe. Le producteur comprend rapidement qu’il faudra tout miser sur l’urgence et la relation houleuse entre les deux frontmen pour capter le meilleur des Libertines. Peu importe si les jeunes musiciens jouent de manière bancale, multipliant les imprécisions, l’âme du groupe est ailleurs. En mêlant des paroles d’une poésie rarement entendue depuis Morrissey avec une énergie punk débordante, les Libertines replacent Londres au centre de la géographie rock mondiale et s’imposent comme la formation la plus excitante de ce début de siècle. Nostalgiques, cyniques et à la fois tellement rêveurs, les quatre Britons séduisent avec des hymnes adolescents qui en disent long sur leur époque (« Death On The Stairs », « The Good Old Days », « Radio America »). A la différence de beaucoup de groupes en « The », les Libertines se démarquent en n’investissant pas dans le passéisme. Les Britanniques se font les porte-paroles d’une jeunesse romantique et alcoolisée, qui a grandi en écoutant les Smiths, les Buzzocks et Oasis, et qui verra dans le groupe la réponse directe de ce qui se passe à New York avec l’éclosion de groupes comme les Strokes ou les Yeah Yeah Yeahs. Bien plus bordélique que leurs cousins américains, les Libertines se montrent aussi plus littéraires. Le Royaume-Uni a trouvé son Arthur Rimbaud en la personne de Pete Doherty. Le jeune fan de QPR alimentera malheureusement davantage les couvertures des tabloïds par ses frasques que les bibliothèques de sa prose. Pourtant, il interprète parmi les titres les plus marquants de cet album fabuleux (« Tell The King » et le single « Up The Bracket »). Jamais il ne retrouvera la fougue entendue sur ce disque fédérateur.
Année : 2002
Origine : Royaume-Uni
Pépite : « Up The Bracket »
Eat : Chicken Tika Massala
Drink : Pinte de Brewdog