Faire accepter le Boss à ses copains branchouilles n’est pas toujours une tâche facile. Et pourtant, l’homme qui a popularisé le jean coupe droite moule paquet et le tee shirt blanc plein de transpiration se refait une jeunesse ces derniers temps. Cité comme influence majeure de la scène pop-punk du New Jersey, Bruce Springsteen continue de faire rêver les jeunes et les moins jeunes. Lui qui représente si bien la classe ouvrière blanche du mid-Atlantic, région qui s’étend des faubourgs de New York jusqu’à la baie de Chesapeake tout près de Washington DC, englobant les villes de Trenton, Philadelphie, Wilmington et Baltimore, a choisi de rendre hommage au Midwest à coups d’harmonica et de ballades folks inspirées. Après avoir conquit les ondes radios du monde entier durant la deuxième moitié des seventies grâce à ces succès « Born To Run » et « The River » , Springsteen change radicalement de cap. Sur « Nebraska », le jeune musicien décide de tout enregistrer sur un vulgaire magnétophone à cassettes, assurant au passage toutes les parties de voix, de guitares et d’harmonica. Le voilà chez lui, dans sa petite maison logée pas loin du Jersey Shore, armé de son 4 pistes Tascam 144 à cassettes, à gribouiller des chroniques sociales d’un Amérique qui le fascine. Sur la chanson éponyme de l’album, il narre le périple sanglant de Charles Starkweather et Caril Ann Fugate, deux tueurs en série qui marquèrent l’Amérique puritaine des années 1950. Sur la surprenante « Johnny 99 », le Boss conte l’histoire d’un condamné à mort, contraint de croupir près d’un siècle dans un geôle miteuse pour avoir dessoudé un vulgaire veilleur de nuit. On retiendra tout particulièrement « Atlantic City », et son refrain mielleux, ode à un amour complexe dans une cité du vice en pleine décadence, celle où Donald Trump s’est faite un nom en tant que propriétaire d’hôtels et de casinos. « Highway Patrolman » aurait pu être écrite par Bob Dylan. Elle raconte l’histoire de deux frangins radicalement opposés, l’un flic, l’autre bandit, qui inspirera le film « The Indian Runner » de Sean Penn, sorti neuf ans plus tard. En faisant le choix de l’intimité et de l’acoustique, Springsteen signe en fin de compte son album le plus profond, celui qui le fait passer de sensation radio à légende de l’Americana moderne, faisant taire au passage ses détracteurs lui reprochant son côté peu raffiné et ses fringues pleines de cambouis. On ne l’appelle pas le Boss pour rien.
Année : 1982
Origine : Etats-Unis
Pépite : « Atlantic City »
Eat : Scrapple
Drink : Bière Rolling Rocks
Iggy et ses Stooges ont laissé une trace indélébile aux quatre coins des Etats-Unis. A Seattle, les meilleurs représentants de la Stooges mania sont sans aucun doute Mudhoney, une bande de sauvages qui maltraite des six cordes et toutes sortes de pédales de distorsion depuis près de trente ans. Groupe phare de ce que les médias appelleront la « scène grunge », le quatuor emmené par le guitariste chanteur Mark Arm s’est fait un nom à percer des centaines de tympans dans les salles indépendantes de la côte Ouest. Une avalanche de larsen dissonants, de riffs ultra-aggressifs crachés par des murs d’amplis Marshall vrombissants, et un chant outrageux. Que ce soit sur « Sweet Young Thing Ain’t Sweet No More », power ballade hargneuse ou la très garage punk « Hate The Police » (reprise de The Dicks), la formation du Washington rend hommage à un rock puissant, adolescent, qui puise son origine chez les Sonics, le MC5 et les frères Asheton. On est bien loin du rock heavy et formaté de leurs compatriotes de Soundgarden ou Pearl Jam. Mudhoney vient du punk rock, et ça s’entend. Pas étonnant d’ailleurs que le groupe ait choise d’intituler son album « Superfuzz Big Muff », rendant ainsi hommage à la mythique pédale de guitare fuzz de chez Electro-Harmonix ainsi qu’au modèle Super Fuzz de la firme new yorkaise Univox. Sorti en 1990, l’album est en réalité une compilation reprenant les meilleurs singles du groupes ainsi que les titres d’un EP paru deux ans auparavant. Le groupe se permet même d’utiliser un sample du film « The Wild Angels » de 1966, dans lequel on peut entendre l’acteur Peter Fonda introduire la chanson « In N ‘out of Grace ». Ce sample sera repris par de nombreux groupe, dont les écossais de Primal Scream sur « Loaded ». Grâce à cette compilation pleine de rage et de fougue, Mudhoney a posé les bases d’un rock cradingue et urgent, inspirant par la suite parmi les plus grands noms de la scène underground américaine des nineties, de Kurt Cobain à Fu Manchu, en passant par les New Bomb Turks ou The Dwarves. Du très lourd.
Année : 1990
Origine : Etats Unis
Pépite : « Touch Me I’m Sick »
Eat : Peanut Butter Toasts
Drink : Vodka Redbull
Quand les trois frangins Berlin s’enferment en studio avec Steve Albini dans le sous-sol de leur maison de Saint Louis, Missouri, ils ne se doutent sûrement pas qu’ils vont signer un des albums les plus féroces des années 2000. En effet, le producteur des Pixies et de PJ Harvey arrive à tirer le meilleur du quatuor, en misant sur l’énergie folle de ce groupe méconnu. « Ahead of the Lions » est un shooter de jouvence. Sur le morceau d’ouverture, The Living Things donne le ton. « Bombs Below » a de quoi vous faire lever de votre siège et empoigner le gros lourd qui scrute votre copine des pieds à la tête à la table d’à côté. Un rock juvénile, puissant, sur-excité, tout ce qu’il faut pour faire vriller une soirée jusqu’alors paisible. On retrouve cette nervosité sur l’excellente « I Owe », second titre aux tendances politiques clairement affichées. Porte parole d’une jeunesse révoltée, Lilian Berlin, chanteur et guitariste de la fraterie, ne pèse pas ses mots. Ici tout y passe, le FBI, la CIA, les profs, et les curetons, histoire de n’épargner personne. Alors que les autres groupes de leur génération préfère éviter le registre politique, The Living Things en fait son fond de commerce. Sur «Bom Bom Bom », le groupe du Midwest ressuscite T-Rex. Nous voilà confortablement installés dans un canapé à siroter des Bloody Mary en compagine de Marc Bolan. On s’y croirait presque. « God Made Hate » reste dans la même veine, entre glam rock, garage punk et rock racé. Du grand art. La production d’Albini permet au band de ne jamais sombrer dans la lourdeur. On retrouve cette même urgence sur « No New Jesus » et ses riffs de guitares tendus comme des crampes. Le groupe nous plonge dans les années 1980 sur « Monsters of Man » et ses arrangements bizarroïdes. On prend dix ans et nous voilà dans un Seattle aux frontières de l’indus à l’écoute de « I Wish The Best For You », qui rappelle étrangement le côté dark d’Alice in Chains ou Nine Inch Nails. Drôle d’album que ce « Ahead of Lions », qui permettra au groupe de se faire un petit nom en 2005 avant de retomber dans l’anonymat. Dommage, car ce que le bande du Missouri montre sur cet album laissait présager un futur radieux à cette formation pour le moins atypique.
Année : 2005
Origine : Etats Unis
Pépite : « Bombs Below »
Eat : Poulet piri piri
Drink : Bloody Mary