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« MILANO » : on tient enfin l’album rock de l’année

Rien ne les prédestinaient vraiment à collaborer. Pourtant, remis de son somptueux « Rome » sorti il y a cinq ans, le compositeur Daniele Luppi a repris du service de la meilleure des façons.

Voilà donc un nouveau concept album aux antipodes de ses escapades western spaghetti façon Ennio Morricone. L’Italien basé à Los Angeles a cette fois pensé au gratin du punk artsy new yorkais pour rendre hommage à la ville de son enfance : Milan. Ce coup-ci, le petit génie habitué à côtoyer des grands noms s’est entouré de Parquet Courts et Karen O, ou tout simplement ce qui se fait de mieux en matière de riffs serrés, rythmiques saccadées et ambiance urbaine dégénérée, pour pondre un album dont on ferait mieux de ne pas passer à côté.

Luppi, homme aux multiples casquettes, tantôt compositeur, tantôt producteur, nous plonge donc dans la capitale lombarde en plein boom du milieu des années 1980. Oui, à cette époque là, Milan vit une décennie faste et prospère. Cité industrielle incontournable où se côtoient top models aux jambes interminables, jeunes designers à la renommée internationale et hommes d’affaires véreux, Milan la bourgeoise s’avère être une source d’inspiration quasi-parfaite pour cet album à la fois totalement chic et complétement décadent.

New York à l’italienne

Les hostilités démarrent sur une ballade fumeuse, une ode au tempo ralenti rappelant étroitement le Velvet Underground de « Pale Blue Eyes ». Sur cette délicieuse entrée en matière intitulée « Soul and Cigarette », le chant crâneur d’Andrew Savage évoque clairement les meilleurs années de Lou Reed et sa bande. Par l’intermédiaire de cette petite pépite rock au refrain entêtant, Luppi en profite pour rendre hommage à la poétesse milanaise Alda Merini, une femme qui passa l’essentiel de sa vie dans la marginalité à côtoyer héroïnomanes, sans-abris, et laissés pour compte.

Luppi ne s’est pas trompé en invitant Karen O, reine du punk estampillé « New York City » depuis près de deux décennies. La frontwoman des Yeah Yeah Yeahs relève avec une certaine dose de glamour un savoureux boogie (« Talisa »). Voilà comment mettre en musique un shooting photo de la top model Talisa Soto pour la firme Versace. Sexy, aguicheuse, la belle couine, se lamente et signe des parties de voix qui se combinent parfaitement avec le rock n’roll simpliste et sec de Parquet Courts. Sur « Mount Napoleon », le groupe de Brooklyn livre un post-punk dissonant de haut vol. On pense à Gang of Four ou Wire. Sur le refrain, Savage parle de came. On imagine qu’à l’époque, les saladiers de poudreuse dans les banquets mondains étaient aussi populaires que les intraveineuses aux abords du Duomo.

Dans une récente interview radio, Luppi expliquait avoir été fasciné par un oncle fêtard qui lui racontait alors ses soirées épiques en compagnie du gratin milanais. Enfant, le compositeur associait des images, des formes aux mélodies. Pas étonnant donc que l’album compte un titre intitulé « Memphis Blues Again ». En effet, le Memphis Group est un mouvement du design italien créé en 1980 par Ettore Sottsass, alliant éléments de pop culture et critique du consumérisme. Sur ce morceau, un des plus accrocheurs de l’album, Parquet Courts donne une leçon de post-punk dansant à rendre Talking Heads ou The Fall ultra-jaloux.

« Lentamente per favore »
Was all I asked him but he ignored me
View of Il Duomo, brand new sound system
Sweating profusely he calls me his kitten

milano_daniele luppi parquet courts« Pretty Prizes » rappelle Blondie. Imaginez Debbie Harry vous chantant une comptine avec une méchante gueule de bois. Une fois de plus, Karen O s’illustre en mettant un peu de picant dans un album froid, velvetien qui pourrait presque évoquer Captain Beefheart par moments (« Flush »). On retiendra également la nerveuse « The Golden Ones », qui aurait largement pu sortir au début des 1980s. Sur le blues ultra-répétitif « Lanza », Luppi surprend sans convaincre. L’album finit en beauté, avec des cuivres et une ligne de basse free jazz, comme si Serge Gainsbourg période Melody Nelson avait ressuscité pour un dernier jam avec des musiciens afro-américains dans l’antichambre d’un luxueux bar à aperitivo (« Café Flesh »). Un finish totalement réussi pour un album aussi juste que concis.

Avec « MILANO », Luppi signe donc un excellent disque de punk sophistiqué qui fait le grand écart entre l’actuelle scène post-punk new yorkaise et un Milan lubrique et hédoniste. L’Italien et le groupe le plus talentueux de Brooklyn éclaboussent de classe notre automne avec cet album au concept aussi incongru que génial. Du grand art.