Voilà le topo. On était début 2010. Notre pote Aël vivait à Damas depuis septembre pour un échange universitaire. Nous, on savait pas trop où c’était, la Syrie, ni à quoi ça ressemblait. Mais on s’est dit qu’une occasion pareille ne se présenterait peut-être pas deux fois. Et malheureusement, on croyait pas si bien dire. Alors on y est allés. Et on en est rentrés chamboulés à jamais, des souvenirs plein la calebasse et les semelles qui démangent.
Journal en vrac du 19 au 24 juillet 2010
Le retour du voyage nous a laissés fatigués. Cette semaine sera celle de Damas, du calme après la tempête du désert, puis une petite descente à Bosra et Soueïda dans le sud du pays.
Les matinées se sont passées à Mazzeh, où le programme était sensiblement le même chaque jour. Lever à 9 ou 10 heures, démarrage relatif et en douceur. On joue à GTA. On consulte nos mails, on met un CD, on lit quelques pages. Notre erreur aura peut-être été de ne pas profiter des fraîches matinées pour partir en ville acheter des aigles empaillés ou des slips.
Un matin, j’ai arrosé les plantes et m’en suis foutu partout, n’arrivant pas à brancher la rallonge du tuyau.
Beaucoup de blattes trouvent la mort.
Le lundi, lendemain du retour du désert, on retrouve Aël à Shaalan vers les 15 heures. Il est défait et sort du boulot en bras de chemise. La classe à Damas. Il décide de nous emmener voir le coucher de soleil sur Damas depuis le Mont Qasioun, qui surplombe la ville. On chope un taxi en Lada, dont on est pratiquement convaincus qu’elle n’arrivera jamais en haut. On a tort. C’est solide, ces bêtes-là. Puis une fois là-haut, c’est muezzins en cascade, la lumière mêlée aux chants, mais aussi de gentils monsieurs avec des pistolets qui veillent « sur notre sécurité ». Eh oui, ça reste la Syrie.
Après une bonne claque, on redescend, en roue libre (littéralement). Chichachez Walid au Midas, salvatrice. Puis on file à l’After Seven, ce bar du quartier chrétien où nous sommes déjà allés. Discussions animées, beau monde, et Aël qui voulait se coucher tôt n’en a finalement rien fait. On enchaîne les cocktails et shooters, Blue Sex on the Beach, Doudou (vodka, Tabasco, citron, olive), Liquid Cocaine (Jägermeister + deux types de Schnapps). De nombreux aveux d’amitié. Nous ressortons sur les rotules, mais heureux. Le taxi nous verra danser sur sa banquette arrière, et taper des mains pendant tout le trajet. Il nous accompagnera même, en montant le volume et en tapant des mains tout en conduisant. Plus rien ne nous étonne.
Les jours suivants, balades au souk et bouteilles d’eau se succèdent. Les aigles empaillés pullulent. On multiplie les restos. Et c’est aussi le moment où notre Max national se rend à son date avec Marline. Aucun de nous n’arrive à le croire, pas même lui d’ailleurs, mais c’est bien en train d’arriver. Ils conviennent d’une heure, et on lâche le tigre dans la jungle damascène. Il se chope un taxi, se démerde, et la retrouve pour un thé. Ils discuteront de tout et de rien, passeront un beau moment. Mais ne se marieront pas. C’est con, on se voyait déjà au mariage, nous.
Dans la semaine en vrac : un enfant avait des crêpes sur la tête, un homme parlait à un chat dans le quartier de Midan, dans le même parc où quatre filles essayaient d’attirer notre attention en faisant de la balançoire. J’ai aussi parlé français à une Syrienne qui tenait une librairie.
Nous faisons aussi la connaissance de Nisrine, une amie d’Aël, une druze originaire de Soueïda. On la retrouve dans un petit bar du quartier chrétien. Elle nous récite quelques vers en arabe, puis nous raccompagne.
On aura vu la prière à la mosquée des Omeyyades, et ressenti cette ferveur si particulière aux musulmans. On aura goûté aux meilleures glaces de Damas, à Bakdash dans le souk Al-Hamidieh, visité les ruines enchantées de Bosra, leurs pavés de basalte, leurs blocs noirs qui ont bravé les siècles, qui continuent d’abriter des habitants dont on apercevait les cordelettes à linge garnies de vêtements, leur amphithéâtre, du haut duquel il a fallu qu’on sorte des répliques de Gladiator, on a aperçu Soueïda, savouré au retour un coucher de soleil sur Damas depuis le service, minibus collectif, au son de la voix de Fairouz entouré par un silence aussi mystique que nocturne, on a revu Nisrine et rencontré Rasha, sa meilleure amie, toutes deux en tenue de mariage, on aura réussi l’exploit de tomber deux fois sur le même taxi, qui nous aura reconnu, on aura acheté des savons d’Alep, cherché sans succès des mugs Bachar, mangé du riz en plein soleil, respiré les souks et la vieille ville.
Puis un samedi matin, à cinq heures, c’était l’heure du départ. Salamat, Cham. Salamat.