Hébron
Hébron

Chroniques du Levant : La Palestine (janvier 2017) – Jour 6

Voilà le topo. On avait envie de voir la Palestine. De nos propres yeux. On voulait se faire une idée de ce bordel qu’on nous enseigne en classe, qu’on lit dans les journaux, qu’on voit à la télé. On voulait mettre des images sur ces noms qu’on connaît sans les connaître. Jérusalem, Bethléem, Jéricho, Hébron, Naplouse. Ces noms qui peuvent faire rêver, ou bien faire peur, évoquer la lumière divine, les Orients mythiques, mais aussi les Croisades, les jets de pierre, les murs.
Et l’occasion était trop belle. Notre pote Aël revenait d’un long voyage depuis la Chine. Il était donc dans le coin, et on s’est donné rendez-vous à Jérusalem, en janvier 2017.

9 janvier 2017 – The best worst place in the world

Réveil 7h30 pour petit-déj’ à 8h. Ledit petit-déj’ n’arrive pas car il y a eu malentendu donc on décolle pour Hébron. Al-Khalil en arabe, grosse bourgade d’environ 200 000 habitants au sud de la Cisjordanie. La ville a la réputation d’être restée l’épicentre cisjordanien (on n’oublie pas Gaza, hein) de la lutte contre l’occupation israélienne. La situation y est extrêmement complexe1 et la visite, parait-il, ne laisse pas indemne. On verra bien.

To Hébron

On chope un service (petit minibus) après s’être fait déposer par un taxi à un carrefour qui fait office de gare routière. Environ une heure plus tard, arrivée dans la vieille ville d’Hébron. On fait quelques pas en direction des premières rues de la vieille ville et là… boum. À droite d’une placette tout ce qu’il y a de plus arabe, un immense bâtiment, d’apparence flambant neuf, bardé de drapeaux israéliens. Une colonie. Barbelés, barricades, miradors. Ambiance. On se dit que le décor est planté.

Un peu surpris quand même, on entre dans la vieille ville. Les ruelles sont magnifiques, les maisons, les boutiques, les petits passages. On s’installe dans un petit rade et on se prend chacun deux parts de kenafeh en guise de petit-déj. Formidable et sucré, avec un bon café. Tout va bien, on tchatche avec le patron des lieux. Mais cette étrange sensation qui nous a saisis devant cette colonie il y a quelques minutes ne nous quitte pas. On sent qu’ici ce ne sera pas la même. L’atmosphère est différente, les touristes peu nombreux.

On sort du café. Très vite, notre sentiment se confirme. En levant la tête, on aperçoit la fameuse grille (qui symbolise souvent Hébron dans la presse, les reportages…) que les Palestiniens ont posée pour se protéger des déchets, cailloux, œufs, poubelles, que jettent les Israéliens qui habitent les étages des maisons. Une deuxième colonie jouxte en effet la rue où nous nous trouvons, sur la droite. Les étages des habitations donnent directement sur la rue. Très vite aussi, les gens veulent qu’on voie, veulent nous expliquer. On nous raconte qu’ici toutes les boutiques étaient auparavant ouvertes, mais que depuis l’arrivée des colons dans les étages supérieurs, les pressions et les harcèlements sont quotidiens. Du coup, beaucoup de commerçants ont mis la clé sous la porte. Un marchand montre ses écharpes tachées d’œufs balancés depuis les étages. On nous dit aussi que tous les samedis, des touristes et des colons juifs déambulent dans ces rues, escortés par des soldats de Tsahal, et visitent cette partie de la ville qui selon eux, leur a été volée.

Là, on commence vraiment à réaliser l’ampleur du bordel. La colonisation israélienne apparaît ici d’autant plus omniprésente qu’elle s’est faite en plein cœur de la vieille ville (ailleurs en Cisjordanie – à l’exception de Jérusalem – la colonisation s’effectue surtout autour des villes palestiniennes, pas dedans).

On poursuit notre marche. Trois boutiques sur quatre sont fermées. Tsahal a condamné à des fins de sécurité des rues commerçantes entières qui sont depuis devenues des dépotoirs pour les colons des étages. Plus loin, d’immenses constructions flambant neuves ornées d’immenses drapeaux israéliens dominent le paysage. On retrouve les barbelés, barricades, miradors, tous les ingrédients de la zone de guerre.

Sonnés, voire mal à l’aise, on sort de la vieille ville, par un check-point. On va visiter le Tombeau des Patriarches, un peu plus haut, lieu saint pour les chrétiens, les juifs et les musulmans, où se trouve notamment la sépulture d’Abraham. Jolie mosquée. On entre sans savoir qu’elle n’est accessible qu’aux musulmans, et on ressort illico. C’est ici qu’en 1994, un colon du nom de Baruch Goldstein a tué 29 Palestiniens et en a blessé 200 autres en plein cœur de la mosquée. La synagogue n’est pas non plus visitable.

On redescend vers la ville pour atterrir dans une zone tampon, truffée de soldats israéliens, de barbelés, de miradors, de panneaux où on lit des messages tels que : Les Arabes nous ont volé ces terres (en référence au massacre de 67 juifs en 1929, qui a temporairement mis un terme à la présence juive dans la ville), ils doivent les restituer. Signé, la communauté juive d’Hébron.

La rue principale de cette zone est déserte. Elle est bordée de boutiques, anciennement tenues par des Palestiniens, dont les volets en métal ont été soudés pour empêcher leur ouverture. Sur certains volets, des étoiles de David ont été dessinées. Ici, les Palestiniens ne peuvent circuler qu’à pied, des blocs de béton et autres barils remplis de sable empêchant tout véhicule de passer. Dans d’autres rues, plus loin, vers l’ancien marché de gros notamment, ils sont tout simplement persona non grata. D’ailleurs, les Palestiniens appellent ce quartier Ghost Town. En 1994, suite au massacre du Tombeau des Patriarches, il a été investi de manière préemptive par Tsahal qui craignait des représailles. Depuis, c’est devenu une sorte de ligne de démarcation entre la ville et les colonies, et le principal accès vers ces colonies. Jusqu’en 2001, il y avait même un mur de 80 cm qui scindait la rue en deux, côté juif et côté arabe. D’après ce qu’un type d’environ notre âge nous raconte, dans cette zone, tous les jours, des enfants sont contrôlés par des soldats sur leur chemin pour aller à l’école, des habitants doivent lutter pour rentrer chez eux, des vieillards sont malmenés.

On quitte la vieille ville, complètement retournés. Après un détour par l’usine de keffiehs locale, la dernière encore en activité en Palestine, et quelques achats auprès de son propriétaire un tantinet taciturne, on va se fumer une chicha au quatrième étage d’un immeuble, dans un café surréaliste tenu par des enfants, avec des gosses qui jouent à Counter Strike, d’autres au billard.

Avec les bouffées du narguilé, la pression retombe et on réalise peu à peu ce qu’on vient de voir. Haine réciproque, colonisation, privation des droits de circulation, violence psychologique et physique qu’on nous dit quotidienne.

Au moment de payer, les gamins commencent à nous parler de leur quotidien, à nous faire voir des vidéos de contrôles abusifs d’enfants de cinq ans, de brutalisations de vieillards, de scènes d’affrontements au jet de pierres avec Tsahal. On comprend que certains d’entre eux ont déjà jeté des pierres. Ils nous expliquent que les colons viennent les provoquer tous les samedis afin d’obtenir une réponse violente qui justifiera l’intervention de Tsahal.

Hébron

Depuis le Protocole de 1997, Hébron est divisée en deux zones. La zone H1, où vivraient plus de 100 000 Arabes, est sous contrôle de l’Autorité palestinienne. La zone H2, entourée d’une petite vingtaine de check-points, est administrée par Israël. 30 000 Arabes y habiteraient, pour un peu moins de 1 000 juifs. C’est en H2 que nous avons passé l’essentiel de notre journée. D’après ce qu’on nous a raconté, les Palestiniens qui y vivent ne peuvent que difficilement en sortir, car ils sont constamment soumis à des contrôles extrêmement fastidieux et humiliants. De même, ils n’auraient pas le droit d’accéder à leur propre cimetière, le quartier adjacent par lequel on y accède (le marché au gros, à côté duquel on est passé plus tôt dans la journée) étant interdit aux Palestiniens.

On réalise, même si c’était déjà très clair, que les autorités israéliennes découragent les touristes de se rendre en Cisjordanie pour ne pas qu’ils voient tout cela de leurs propres yeux. On nous dit que c’est la raison pour laquelle elles auraient ordonné la démolition du petit muret de ségrégation dans la rue désormais fantôme. Parce qu’elles s’étaient rendu compte que les touristes le photographiaient et en parlaient autour d’eux.

Venez, et voyez, comme disait l’autre.

Comme nous l’a dit l’un des seuls boutiquiers de la ville fantôme : Welcome to the best worst place in the world.


1 Pour ceux que ça intéresse, cet article du quotidien israélien Jerusalem Post a le mérite de donner une vue israélienne (A 4,000-page book: The Jewish perspective) et une vue palestinienne (‘A microcosm of the occupation’: The Palestinian perspective) sur cette histoire complexe, vues qui ne sauraient pour autant être généralisées à chaque communauté.