Saint-Jean d'Acre

Chroniques du Levant : La Palestine (janvier 2017) – Jour 5

Voilà le topo. On avait envie de voir la Palestine. De nos propres yeux. On voulait se faire une idée de ce bordel qu’on nous enseigne en classe, qu’on lit dans les journaux, qu’on voit à la télé. On voulait mettre des images sur ces noms qu’on connaît sans les connaître. Jérusalem, Bethléem, Jéricho, Hébron, Naplouse. Ces noms qui peuvent faire rêver, ou bien faire peur, évoquer la lumière divine, les Orients mythiques, mais aussi les Croisades, les jets de pierre, les murs.
Et l’occasion était trop belle. Notre pote Aël revenait d’un long voyage depuis la Chine. Il était donc dans le coin, et on s’est donné rendez-vous à Jérusalem, en janvier 2017.

8 janvier 2017

Objectif Saint-Jean d’Acre, ancienne ville croisée et désormais ville arabe en territoire israélien. Plus précisément, en partie arabe. En effet, lorsque la ville est prise par Israël en 1948, certains de ses habitants palestiniens décident d’y rester, obtenant par la même occasion la nationalité israélienne. Aujourd’hui minoritaires, ils habitent toujours la vieille ville.

Le voyage s’annonce une belle odyssée : réveil 5h30, bus pour Haïfa puis train jusqu’à Saint-Jean d’Acre. Il nous faudra ensuite rentrer à Jérusalem, récupérer nos sacs à l’auberge, puis prendre le bus jusqu’à une banlieue de Bethléem où nous passerons la nuit.

St Jean d'Acre

Le réveil se passe bien, on est efficaces. Petit café, on laisse les bagages à la consigne et on s’arrache. Les rues sont désertes et balayées par un vent très froid. Arrivés à la gare routière, les réjouissances commencent. Un flic simplet et patibulaire nous somme de poser nos sacs pour un contrôle, et nous le fait comprendre grâce au fameux combo grognement + pointage de doigt vers table. Il fait chou blanc.

On détale vers le quai des départs. Arrivés à la porte, on commence à apercevoir un bon paquet d’adolescents armés de M16. Jusque-là, rien d’anormal. Mais il y en a vraiment un paquet. On est dimanche, lendemain de shabbat, et tous les conscrits reprennent la route de la caserne. L’atmosphère est extrêmement bizarre. Les types portent leurs armes, certes non chargées car on aperçoit les chargeurs scotchés sur les crosses, mais quand même. La plupart sont sur leurs téléphones à jouer à Candy Crush avec leur barda sur les épaules et leur flingue en bandoulière. Beaucoup sont en treillis, mais d’autres sont habillés en civils, ce qui donne un petit côté milice de rue des plus sympathiques.

On s’installe, et c’est parti pour deux heures de bus.

Dans le bus
Dans le bus

Arrivés à Haïfa, portiques de sécurité, types malpolis, bref, la routine, et on descend sur le quai attendre le train pour Acre. Entretemps, petite frayeur quand un des soldats se met à éplucher le passeport d’Aël, mais s’arrête juste avant le sulfureux visa iranien. Sur le quai, rebelote avec des centaines de gamins entre 17 et 25 ans qui poireautent sur le quai d’en face en laissant pendouiller leur artillerie. La scène a l’air si normale pour les gens que c’en est déconcertant. Cette société est tellement militarisée que personne ne trouve bizarre la présence d’au moins 200 armes lourdes sur un quai de gare. J’imagine qu’on s’habitue à tout.

Après 20 minutes de train, arrivée à Acre. On quitte vite fait le nouveau quartier terne et sans vie dans lequel se trouve la gare, et qui serait un genre de Grande-Motte en hiver.

La vieille ville d’Acre est très belle. Petites ruelles, petites placettes, toits terrasses, port et phare en sus. Une sacrée tempête fait rage au large du port et on se fait copieusement arroser. Pêle-mêle dans la ville : des jolies Arabes, des chats au port altier, un poney avec un enfant dessus, quelques touristes, un joli souk, une jolie mosquée.

Fidèles à notre réputation de snobs du voyage, on se débrouille pour ne pas voir le seul lieu qui en vaille la peine, la citadelle croisée. Au lieu de ça, on va se mettre une petite race des familles au vin blanc avec vue sur la mer. Après s’y être repris à trois fois pour entrer dans le resto car on arrivait toujours avant l’ouverture, on commande poissons et poulets avec mezzehs offerts en sus. Puis, fiers, titubant, nous reprenons la route, enjaillés par ce Gamla bien frais qui avait ravi nos papilles.

Rebelote train bus pour le retour. À Haïfa, on rate le bus 960 pour Jérusalem à quelques minutes, ce qui nous met dedans pour choper le dernier bus qui partait de Jérusalem pour Bethléem. Le suivant finit par arriver, et on quitte cette belle ville d’Haïfa dont nous n’avons eu pour nous en faire un avis que le sourire des gardes et le ciment des gares.

À la descente du bus, on saute dans le tram pour aller récupérer nos sacs à l’auberge. Mais là, après deux arrêts, Aël s’aperçoit qu’il n’a plus son téléphone. Petite tuile bien relou. On descend du tram, on retourne en trottinant à la gare, on demande les objets perdus, on ne tombe que sur des idiots du village qui n’ont pas l’air décidés à nous aider, jusqu’au dernier type qui rechigne à nous renseigner parce qu’on a paumé le ticket de bus. On repart dépités.

On arrive à l’auberge, on prend nos sacs, on se casse en disant au revoir à Jérusalem. Évidemment, on a loupé le dernier bus. Le but est de parvenir jusqu’au centre culturel Ibdaa dans le camp de réfugiés de Dheisheh, situé au sud de Bethléem. Il nous faut donc entrer en territoire palestinien. Âpres négociations avec le seul taxi présent, qui est une espèce de type louche en sweat à capuche qui erre sur le parking, mais avec qui on finit par monter parce que… parce que c’est le seul. Il nous conduira jusqu’au check-point, suite à quoi nous prendrons un autre taxi jusqu’au centre culturel où nous devons passer la nuit.

Au check-point, personne, pas même un planton de 18 ans à M16. Mais le type devant nous qui nous entend parler français se retourne et nous lance, « Ah, des Français ! Moi je suis le voisin du Nord ! » Il nous apprend après quelques phrases qu’il habite en Belgique et qu’il est diplomate palestinien. La grande classe. Type très courtois mais assez détente, qui partage un taxi avec nous et s’arrête en chemin pour acheter des kenafehs à ramener en Belgique. Il nous donne son nom et nous demande de lui écrire après notre voyage pour lui donner notre impression sur son pays.

Arrivée au camp de réfugiés de Dheisheh, qui est en fait une vraie ville, en dur, avec routes et immeubles, contrairement à ce que je m’attendais à trouver quand on me parlait de camp de réfugiés. Dheisheh jouxte Bethléem au sud. Nous débarquons dans le centre culturel Ibdaa, où nous passerons les deux prochaines nuits. Dès l’accueil, le ton est donné avec un énorme portrait de Chavez. Les types sont adorables et souriants. Dans la salle commune, les murs sont bardés de coupes et de fanions de club de foot qui ont disputé des matchs avec les équipes locales.

On a faim après cette journée de dingue et on sort se dégoter un petit rade où on nous sert des paninis saucisses cocktail des plus succulents.

Retour à Ibdaa puis sommeil du juste.

À chaque jour suffit sa peine (parole du Seigneur).