Chroniques du Levant :
L’Égypte (janvier 2014) – Jour 2

Les nouvelles ne sont pas bonnes vues de l’Occident. Mais je crois beaucoup en la notion de point de vue, pour ce qui est des informations. Là-bas, la vie continue. C’est ce que me dit Salia, c’est ce que me dit Tristan. Je ne réalise pas vraiment que je pars là-bas. Et je ne réalise pas non plus l’ampleur de cette ville, son intensité. Nous irons voir les derviches, le sphinx, les marchés, en logeant dans un appartement sur le Nil. Allons-y.

28 janvier 2014

En ouvrant la fenêtre au réveil, je vois : un type balayer la rue pleine de poussière et de menus tas de détritus (qu’il avait sans doute rassemblés au préalable) tandis que son fils, placide, le regarde, et qu’un chat rachitique se faufile sous une voiture en traversant la rue.

La mission de ce matin, me trouver des slips (que j’ai oubliés à Barcelone), une brosse à dents (que j’ai oubliée à Barcelone) et une carte SIM égyptienne (que je n’ai pas oubliée à Barcelone). On entame le houmous qu’on a été contraints d’acheter la veille pour atteindre le prix minimum imposé par le bar (la minimum charge, très commune dans les bars et restos du Caire), ce qui nous remplit assez pour nous couper l’envie d’aller petit-déjeuner. On descend dans la rue et je vois enfin la belle enseigne en forme de paire de lunettes qui trône sur la façade de l’opticien, en bas de chez Salia. Elle me servira de repère pour retrouver son immeuble. L’enseigne est si grande que la paire de lunettes arrive jusqu’au bout du trottoir, dans le sens de la largeur.

Nous marchons dans Zamalek en direction des slips, un petit magasin où Salia me confirme que nous pourrons entrer tous les deux sans que cela dérange. Je décide de ne pas acheter de boxers, mais des slips, pour une raison qui reste à établir. Muni de mes slips et de la brosse à dents achetée plus tôt, nous nous dirigeons vers la boutique Vodafone au coin de la rue. Pendant notre attente, un homme me salue, et déduisant par l’intégralité de ma personne que je ne suis pas arabe, il me demande d’où je viens. Il me lance alors joyeusement des politesses en français, avant de sortir avec un sourire, qu’il me transmet immédiatement. Nous sortons, la SIM en main : je suis désormais un homme joignable.

Après avoir acheté notre repas de midi à Zooba, un genre de Brioche Dorée assez stylé, nous nous dirigeons vers les faluka, en français félouques, des bateaux à moteur qui promènent qui le veut sur le Nil. En chemin, nous tombons sur de minuscules chatons lovés contre un transformateur. Il y a vraiment des chats partout. Mais pas de chiens. Le monsieur du bateau sort de sa loge et Salia commence la négociation. Nous aurons droit à un tour de l’île de ZamalekGezira, pour 60 livres égyptiennes par personne (6 euros). Yasser, le monsieur du bateau, nous confie à Rad, le pilote, après nous avoir proposé d’embarquer une chicha à bord, ce que j’accepte volontiers. Rad nous passe de la musique, et nous voilà partis pour un tour.

Sur le pont qui mène à la place Tahrir, les fourgons de police sont alignés et laissent imaginer que de l’agitation est prévue aujourd’hui. C’est le procès de Morsi, le président renversé. C’est plutôt irréel de se trouver là, sur le Nil, avec de la musique pop arabe, une chicha, tandis qu’à quelques kilomètres de là, des gens manifestent ou se battent. Ou ne font peut-être rien de tout ça. Les articles se multiplient sur la violence, les attentats, l’instabilité, et me voilà, dans un petit bateau sur le Nil.

Nous voguons, nous voguons. Notre pilote nous informe que le bateau sur notre droite, abîmé sur la rive, a été piégé pendant les événements et le coup d’État. Et il reste là, comme un symbole de cette révolution qui entre peu à peu dans le paysage, et s’efface pour laisser place à la suite. Le brasero pour les charbons se trouve au bout du bateau, et je me lève pour aller ranimer la chicha. Je manque de le renverser et de foutre le feu à la péniche.

Dans 100 mètres, tournez à droite

La promenade terminée, nous décidons d’aller manger notre repas dans un parc public. Salia me glisse discrètement, Ne parle pas, et adresse la parole au gardien. Il lui dit que comme je ne suis pas égyptien, je dois m’acquitter du prix d’entrée. Il l’informe également que si nous souhaitons utiliser le parc à des fins plus intimes, celui-ci est ouvert jusqu’à 22 heures. Mais là tout de suite, il va fermer et nous ne pouvons pas entrer. Nous allons donc en face, dans un autre jardin public / privé. Les gens à l’entrée nous vendent un ticket, 3 livres égyptiennes, pour déguster tranquillement notre repas : fallafels à la mozzarella, féta et tomates concassées, houmous à la coriandre, le tout accompagné de jus de mangue au romarin. Puis on rentre chez Salia en taxi.

Nous avons ensuite rendez-vous avec Habib et Rakim, car Salia a un problème de cactus et Habib est un spécialiste des cactus (il en ramène même en contrebande du Pérou). Le cactus n’avait rien. Mais en rentrant la maison, je le déracine sans faire exprès et le tue.

Dernier rendez-vous de la journée, nous sommes invités à dîner chez Mohamed et Maya. Nous arrivons dans le noir, puisque l’électricité du quartier a sauté. Ça arrive souvent. Nous nous éclairons à la bougie, mais on voit, même dans le noir, que leur appartement est plutôt richement décoré. Sofas et fauteuils blancs, abat-jours noirs, très Castorama luxe. Vu la tête de l’immeuble, on ne s’y attendrait jamais. Il y a aussi Ahmed, Salma, et Anna qui a deux enfants, un garçon et une fille. Tous les invités parlent excellemment bien anglais, et en disséminent d’ailleurs dans chacune de leurs phrases. On parle de Morsi, de Sissi, ira, ira pas.

Pendant le trajet du retour dans la voiture de Salma, on passe devant une immense bouteille de ketchup Heinz publicitaire. Et une immense canette de Pepsi. Enfin, de Bepsi, comme on dit en Égypte.