Chroniques du Levant :
L’Égypte (janvier 2014) – Jour 1

Les nouvelles ne sont pas bonnes vues de l’Occident. Mais je crois beaucoup en la notion de point de vue, pour ce qui est des informations. Là-bas, la vie continue. C’est ce que me dit Salia, c’est ce que me dit Tristan. Je ne réalise pas vraiment que je pars là-bas. Et je ne réalise pas non plus l’ampleur de cette ville, son intensité. Nous irons voir les derviches, le sphinx, les marchés, en logeant dans un appartement sur le Nil. Allons-y.

27 janvier 2014

On réalise que sa vie ne tient qu’à une rafale de vent quand son avion passe par une zone de fortes turbulences, les biens nommées, et que sa voisine se met à entonner des Allah Akbar, la main fermement agrippée sur l’appuie-tête devant elle. Et une fois au sol, la voix débonnaire du pilote vous apprend que ce n’était rien, que l’appareil et l’atterrissage n’en ont pas souffert, et que si vous avez eu peur, c’était sûrement pour rien. Avouons tout de même que ce n’était pas rassurant.

À l’aéroport du Caire, on vend des visas comme des mouchoirs en papier ou des journaux, dans un petit kiosque. Pour 15 dollars, le pays m’accepte. On me fait de grands signes de la main, pour m’appeler au guichet. En moins de vingt minutes, cinq personnes m’ont souri : l’homme des visas, le douanier, la femme de ménage, un taxi, et un autre type. C’est certainement plus qu’en une journée à Paris.

Mise en situation sonore pour la suite du récit

Je passe la douane et le sourire me monte aux lèvres. Ça y est, je suis au Caire. Le bordel, les klaxons, les taxis racoleurs. Salia qui est venue me chercher prend le volant et nous emmène à travers le trafic ahurissant. Je retrouve les sensations de Damas : les pare-chocs qui se frôlent, les types qui attendent sur les terre-pleins et les bordures, parce qu’ils s’apprêtent à traverser l’autoroute à pied. En guise de comité d’accueil, d’immenses panneaux publicitaires qui bordent l’autoroute, et une énorme canette de 7 Up rotative.

On achète un guide, on mange (Aich al saraya, dessert avec des nouilles au caramel et cannelle) et on file fumer une chicha sur le Nil. Pour se garer à Zamalek (et dans beaucoup d’autres quartiers du Caire), c’est très simple. Il suffit de demander au type qui fait le planton où vous souhaitez vous garer, de lui confier vos clés de voiture, et il vous la gare. Il n’est pas rare que le type déplace à la main des voitures déjà garées pour vous créer une place de parking. C’est pour cette raison qu’on ne met jamais son frein à main quand on se gare, dans l’hypothèse qu’on se fera déplacer.

La terrasse du Sequoia Bar est tout simplement située à la confluence du Nil. That’s right. Vous admirez les flots tumultueux du fleuve nourricier de l’Afrique en glougloutant sur votre tuyau de plastique, et vous laissez les volutes de fumée teinter le paysage.

En sortant du bar à chicha, un chauffeur de taxi tapi dans l’ombre de son habitacle klaxonne à mon passage. Je sursaute, évidemment, et lui se met à se marrer comme une baleine. C’est ça, l’humour égyptien.

En bas de l’appartement de Salia, on est accueillis par son bawab, qui est le nom qu’on donne aux concierges cairotes. Le bawab est un personnage incontournable du Caire. On en croise souvent assis sur des chaises devant leurs immeubles. Non content d’être des gardiens d’immeubles au sens classique, les bawabs ont également le pouvoir de décider qui a le droit d’entrer chez vous. Et s’ils jugent que vous recevez un visiteur inapproprié, il n’hésitera pas à vous le faire savoir, ou même carrément à alerter les autorités. Celui de Salia vient d’Assouan. Il est très sympathique. Mais pour éviter les ennuis, Salia lui a quand même précisé que j’allais loger quelques jours chez elle, et que j’étais son cousin. Ce qui est évidemment faux. Mais comme, en Égypte, un homme et une femme n’ont pas le droit de partager un logement s’ils ne sont pas mariés, ça nous évitera des ennuis.

Bien contents de s’être retrouvés, on file se pieuter. J’ai grand hâte d’aller traîner mes guêtres dans ce tourbillon de poussière et de bruit.