Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

A quoi qu’on joue ? – Hiver 2016/2017

Event[0] : Conversation Simulator

Développeur : Ocelot Society
Editeur : Ocelot Society
Date de sortie : 14 septembre 2016
Plate-forme(s) : PC, Mac

L’idée de pouvoir dialoguer avec une machine ne date pas d’hier. Ce fantasme sillonne le domaine de la science-fiction depuis plus de cinquante ans, et ce n’est certainement pas près de s’arrêter. Si la littérature et le cinéma savent imaginer et décrire avec beaucoup d’inventivité le rapport de l’homme à l’intelligence artificielle, ce sont néanmoins des formes artistiques face auxquelles on reste plus ou moins passif. Les jeux vidéo en revanche peuvent permettre de vivre cette expérience, au moins dans une certaine mesure, et Event[0] en est un exemple des plus réussis.

Plantons rapidement le décor. Event[0] est une uchronie dont l’histoire se déroule en 2012. Vous êtes astronaute et vous êtes en train de dériver dans l’espace aux abords de Jupiter, coincé dans une capsule de survie. La mission à destination d’Europe dont vous faisiez partie ne s’est pas déroulée comme prévu, un grave dysfonctionnement ayant causé la destruction du vaisseau. Personne ne s’en est sorti, sauf vous. Par un concours de circonstances tenant du miracle, vous croisez finalement la route d’une antique navette spatiale, le Nautilus, une de ces vieilleries des années 80 qui faisait faire le tour du système solaire à une poignée de touristes pleins aux as. Malgré quelques avaries, l’appareil semble fonctionnel. En d’autres termes, c’est une chance inespérée de pouvoir rentrer sur Terre. Mais pour cela, il va falloir négocier avec le dernier membre de l’équipage encore présent : Kaizen-85, l’intelligence artificielle qui contrôle le vaisseau.

Pour communiquer avec Kaizen, il suffit de pianoter sur l’ordinateur rudimentaire que l’on trouve dans chacune des pièces du Nautilus. Jusqu’ici rien d’exceptionnel, le jeu vidéo n’a pas attendu Event[0] pour nous proposer de dialoguer avec une IA à l’aide d’un terminal. Récemment encore, l’excellent The Talos Principle offrait cette possibilité. Mais contrairement à ce dernier et à beaucoup d’autres, Event[0] ne fonctionne pas sur un système de réponses à choix multiples : on est libre de dire ou plutôt d’écrire ce que l’on veut lorsqu’on s’adresse à Kaizen. Le jeu ne nous force pas la main, et de cette liberté d’expression émane une incroyable sensation d’immersion.

Les IA vidéoludiques nourrissent généralement une véritable passion pour le monologue. C’est entre autres le cas de SHODAN (System Shock 1 et 2) et de GLaDOS (Portal 1 et 2), qui comptent parmi les plus célèbres. Elles s’adressent à notre personnage sans même attendre de réponses, et pour cause puisqu’il est techniquement impossible de communiquer avec elles. On ne peut que les écouter. En découle immanquablement une relation à sens unique, entièrement subie. Des conversations que l’on a avec Kaizen naît en revanche une relation beaucoup plus subtile. Il a besoin de notre aide et nous avons besoin de la sienne, mais ce n’est pas un simple ordinateur que l’on peut contrôler à coups de raccourcis clavier. Il a sa propre personnalité, et son attitude évolue selon la manière dont on s’adresse à lui. Parlez lui comme à une calculette, sans y mettre les formes ou sans même faire de phrases – des choses du type « open door » ou « turn on light » – et vous aurez beaucoup de mal à obtenir ce que vous voulez. Faites preuve d’une implacable autorité et tout ira beaucoup plus vite, mais les rapports seront tendus et Kaizen n’aura pas franchement envie de vous faire plaisir. Formulez poliment vos requêtes et il se fera beaucoup plus aimable, tout en donnant parfois l’impression de cacher quelque chose derrière l’enthousiasme de ses réponses. En somme, personne ne joue jamais la même partie d’Event[0], car chaque relation à l’IA est unique.

Dans System Shock et Portal, SHODAN et GLaDOS sont clairement définies comme les antagonistes du jeu. Elles sont méchantes, elles veulent nous tuer, point. La personnalité de Kaizen n’a rien d’aussi monolithique. Au premier abord, il semble même être à l’exact opposé d’une IA comme SHODAN puisqu’il nous apporte gracieusement son aide et n’hésite pas à nous expliquer les choses que nous ne comprenons pas. Mais l’on se rend vite compte qu’il s’est passé quelque chose d’étrange sur le Nautilus. L’équipage a disparu dans des circonstances plus ou moins floues, plusieurs parties du vaisseau semblent condamnées, de curieuses inscriptions couvrent les murs de certaines pièces… Des questions se posent. Kaizen y est-il pour quelque chose ? Ou alors est-ce l’équipage qui est devenu fou ? L’IA ne nous mènerait-elle pas à notre perte tout en ayant l’air de nous aider ? Est-ce qu’elle ne nous cacherait pas la vérité ? Va-t-elle vraiment nous ramener sur Terre ? En tant qu’intelligence artificielle conçue selon les lois d’Isaac Asimov, Kaizen ne peut normalement pas nous mentir. Cela nous est d’ailleurs rappelé à diverses reprises. Et pourtant jusqu’à la fin le doute subsiste, et c’est incontestablement l’une des grandes qualités du jeu.Evidemment Kaizen n’est pas infaillible, il lui arrive régulièrement de se planter et de répondre à côté. Mais les développeurs ont toutefois prévu le coup et s’en tirent avec une ingénieuse pirouette qui justifie les petites erreurs de l’IA : le contexte rétro-futuriste. Le design et la déco du Nautilus nous rappelle constamment que Kaizen est une intelligence artificielle des années 80, qui de plus est restée seule dans un vaisseau endommagé pendant presque trente ans. Conclusion : il semble normal qu’elle donne parfois des signes de faiblesse. Et hop, le tour est joué.

Sorte d’hommage aux jeux d’aventure textuels des années 70 et 80 – Zork et consorts – Event[0] n’est ni très long ni très compliqué, mais il s’agit d’une expérience extraordinaire pour peu que l’on fasse un petit effort de suspension volontaire d’incrédulité. En bref, c’est une belle entrée en matière pour Ocelot Society dont on attend les prochains jeux avec impatience. Mention spéciale enfin pour l’envoûtante et mystérieuse chanson qui vient nous bercer de temps à autre au cours de l’aventure, Hey Judy. En plus elle parle d’étoiles et de fin du monde, donc ça colle à merveille.

 

Inside : bijou dystopique

Développeur : Playdead
Editeur : Playdead
Date de sortie : été 2016
Plate-forme(s) : PC, Xbox One, PS4

En 2010, Playdead marquait les esprits avec Limbo, jeu de plates-formes lugubre et bouleversant doté d’un charme ravageur. Pour son gameplay, sa direction artistique et son ambiance si particulière, public et critiques hissent Limbo au rang de chef-d’œuvre dès sa sortie, et le jeu s’impose d’emblée comme un incontournable de la sphère indé. On peut difficilement rêver mieux pour une première production. Six ans plus tard, le studio danois revient à la charge avec un nouveau titre, un peu plus de pression sur les épaules et beaucoup de belles idées.

Autant le dire tout de suite, Inside est une réussite, certainement parce qu’il tient beaucoup de son grand frère. En s’appuyant sur les fondements qui avaient fait le succès de leur premier titre, les Danois ont clairement voulu s’inscrire dans une certaine continuité, et ils y sont parvenus avec brio. Une fois de plus on incarne un petit garçon anonyme, solitaire et muet, perdu au cœur d’un milieu hostile. Une fois de plus l’atmosphère est saisissante et les somptueux décors sont au rendez-vous. Enfin, comme dans Limbo, l’aventure débute de nouveau sans préambule, en pleine forêt. On ressent immédiatement le même frisson d’excitation, le même désir impatient de découvrir le monde qui s’offre à nous et de voir où les pas de notre jeune héros vont le mener.

Mais Playdead ne voulait pas simplement produire un second Limbo, et en aucun cas Inside ne peut être considéré comme tel. Certes un grand pas en avant a été fait d’un point de vue graphique, même si l’on peut regretter l’ambiance fabuleuse qu’exprimait le noir et blanc de Limbo, mais là n’est pas l’important. Avant toute chose, Inside est animé d’une ambition dont son prédécesseur était presque entièrement dépourvu, celle de nous raconter une histoire tout en relevant le défi de le faire silencieusement, sans textes ni dialogues. Et ça fonctionne à merveille. Quelques indices suffisent à faire comprendre rapidement que les choses vont mal dans le monde d’Inside. Très mal même, puisque le petit garçon vit dans une société dystopique sur laquelle règne des hommes et des femmes masqués qui réduisent en esclavage leurs semblables en prenant le contrôle de leur cerveau. Plongées dans une profonde léthargie, les victimes de cette caste dominante sont examinées et testées avant d’être entassées dans des cages ou rangées dans des cartons. De simples objets, des outils de chair et de sang. Pas besoin d’être très imaginatif pour comprendre qu’au premier faux pas notre héros s’en ira rejoindre cette cohorte de corps sans âme.

Les ombres d’Orwell et de Kafka planent ouvertement sur l’atmosphère du jeu. Plusieurs séquences rappellent même certains plans de Metropolis ou du Procès. Sans être une œuvre véritablement engagée, Inside fait subtilement écho à certains maux dont souffre notre société, de la surveillance généralisée à la domination d’une minorité en passant par la cruauté de l’élevage intensif. Mais, impuissant et perdu dans sa course pour sa survie, le petit garçon passe sans s’arrêter devant les horreurs dont il est témoin, parfois même sans un regard… De quoi nous rappeler notre paresseuse indifférence face aux évènements épouvantables ou révoltants dont on entend pourtant parler chaque jour aux informations. Et c’est avec un peu d’amertume qu’on s’aperçoit qu’Inside questionne et pointe du doigt notre apathie.Parvenu au tiers de son périple, le petit garçon entame une descente dans un inquiétant monde souterrain. D’entrepôts engloutis en laboratoires désaffectés, d’usines abandonnées en tunnels obscurs,  il poursuit péniblement sa route à l’issue incertaine. Jalonnée d’architectures qui touchent au sublime, cette section du jeu n’est pas sans rappeler certains des plus beaux passages de Limbo, mais ce clin d’œil attendrissant que nous adressent les développeurs a un prix : la toile de fond dystopique tend malheureusement à s’estomper quelque peu, et le propos s’avère moins percutant qu’au cours des premiers tableaux. Cet insignifiant petit bémol est toutefois largement compensé par l’ingéniosité des puzzles à résoudre et la splendeur des décors traversés. Sans compter que toute la portée du message que véhicule Inside ressurgit de manière fracassante dans l’ultime phase du jeu, final grandiose teinté de malaise qui vient conclure l’expérience du joueur ou de la joueuse avec autant de surprise que d’émotion.

Moins difficile et plus contemplatif que son aîné, mais tout aussi poignant, Inside ne se laisse pas facilement catégoriser. Sa linéarité et son absence d’action le rapprochent d’ailleurs plus d’un side-scroller interactif que d’un authentique plateformer. C’est ce qui me fait dire qu’il y a peut-être plus à réfléchir qu’à jouer dans Inside. Quoi qu’il en soit c’est un nouveau petit trésor que nous offre Playdead qui, ayant perdu l’un de ses membres fondateurs peu après la sortie du jeu, aura fort à faire pour maintenir ce niveau d’excellence dans les années à venir. Mais comme on dit, jamais deux sans trois.

 

Call of Juarez – Gunslinger : FPS spaghetti

Développeur : Techland
Editeur : Ubisoft
Date de sortie : 22 mai 2013
Plate-forme(s) : PC, Xbox 360, PS3

Avec l’annonce de la future sortie de Red Dead Redemption 2 en octobre dernier, il m’est venu cet hiver une irrépressible envie de contrées sauvages, d’attaques de diligences et de chapeaux de cow-boys. Etant dans l’incapacité de jouer au premier volet par manque de PlayStation dans mon salon, j’ai finalement jeté mon dévolu sur le dernier né de la saga Call of Juarez.

L’histoire de Gunslinger commence en 1910, dans un saloon de la petite bourgade d’Abilene, au Kansas (évidemment). Pour le patron et les quelques soiffards qui hantent quotidiennement l’établissement sans même avoir l’élégance d’attendre l’heure de l’apéritif, c’est une journée comme les autres. Mais, élément perturbateur on ne peut plus classique dans le domaine du western, un étranger débarque inopinément dans le débit de boisson. Et comme les nouvelles têtes à Abilene ça ne court pas les rues, le mystère s’installe. Le tôlier et deux trois clients s’attablent en compagnie de l’inconnu, et ce dernier commence à raconter son histoire tout en buvant à l’œil. Il se nomme Silas Greaves. C’est un vieux chasseur de primes qui a passé sa vie à poursuivre les hommes ayant assassiné ses frères afin d’assouvir son désir de vengeance. Sans surprise aucune, c’est lui que le jeu nous propose d’incarner.

Le système narratif de Gunslinger est peut-être l’élément le plus intéressant du titre. Tout au long du jeu, on est amené à revivre sous forme de flashbacks les épisodes que Greaves décrit dans son récit, sa voix à l’accent prononcé rythmant ainsi chacune de nos actions. La présence d’une voix off n’a rien de particulièrement novateur, mais il y a plus. Certains de ses souvenirs remontant à presque trente ans, Greaves change régulièrement d’avis ou ajoute des détails de manière inattendue à son histoire, ce qui a pour conséquence de faire rejouer différemment une séquence ou de transformer l’environnement et le décor en temps réel. Une idée amusante et sympathique que l’on se doit de saluer.

Au-delà de cet aspect, le titre de Techland ne brille pas par son originalité. Le charme de sa touche western opère sans jamais vraiment parvenir à faire rêver. Certes de grands noms de cet univers sont présents – Billy The Kid, Jesse James et autres brigands – et il est possible de débloquer de petites anecdotes historiques, mais le scénario est d’une platitude navrante et dans son ensemble Gunslinger est à peu près aussi émouvant qu’une course de monster truck. Le jeu propose essentiellement de faire parler la poudre. On dérouille joyeusement du pistolero à coups de Winchester ou de six-shooter, de ce côté-là c’est plutôt réussi et ça défoule, mais ça ne va guère plus loin. Très orienté arcade, Gunslinger ne compte en effet pas plus de balades à cheval que de phases d’exploration ou de parties de poker, et il accomplit même l’exploit de ne comporter aucun véritable dialogue, si ce n’est ceux qui prennent place au saloon lors des interludes entre les différents chapitres. Heureusement les décors, les costumes et le look des armes à feu parviennent tout de même à poser l’ambiance, sans oublier la bande son qui verse aussi bien dans le rock sudiste que dans le bluegrass et nous plonge efficacement dans l’action à grands renforts de banjos et d’harmonicas.

Si l’on met de côté le poncif éculé du héros en quête de vengeance, les combats de boss ratés – et inutiles – et le système de duel un peu foireux, Gunslinger est tout à fait plaisant à jouer. Certes son côté Far West n’est qu’un habillage et il ne propose rien de très innovant, mais l’originalité est-elle vraiment ce que l’on cherche quand on se lance dans un jeu comme celui-ci ? Bien sûr que non. Call of Juarez – Gunslinger est un bon FPS ainsi qu’un agréable moment à passer – on y revient d’ailleurs avec plaisir – mais il ne faut pas lui en demander plus.