SOTW #244 : SWEAT, The Sophs

Il aura donc fallu la chanson rock d’un groupe inconnu au bataillon pour que je replonge dans les affres (et les délices) de la chronique musicale. Ce n’est rien et c’est énorme à la fois, car bien que j’écoute toujours autant de musiques, plus nouvelles qu’anciennes d’ailleurs, rien depuis deux ans et demi ne m’avait motivé à revenir à mon clavier, hormis les décès d’artistes que j’avais aimés et immensément respectés.

C’est la lecture d’une brève sur le fil des Inrocks qui m’a conduit à prêter une oreille à SWEAT, la seule chanson disponible à ce jour d’un groupe appelé the Sophs. Comme le disaient les Inrocks, le rapprochement avec the Strokes n’est pas fortuit. Après une fausse intro avec boite à rythmes branlante et bruit blanc s’installe une rythmique mid tempo tranquille, répétitive mais tendue avec basse ronde, un motif de guitare lancinant et mélodique qui pourrait être joué au synthé, des contrepoints aux claviers et à la guitare acoustique et surtout cette voix cool de crooner juvénile, un peu bancale mais garante d’une émotion brute. Tout cela évoque aussi bien Hard to Explain, chef d’œuvre romantique du premier album des Strokes que The Adults are Talking pièce maîtresse ouvrant le dernier effort des New-yorkais « The New Abnormal », construisant ainsi une arche entre 2000 et 2020. Puis, après un passage sans batterie avec chœurs angéliques` qui répondent en falsetto surgit une reprise du refrain comme un coup de boutoir avec la voix étranglée passée à l’octave supérieur et des riffs rageurs de guitare saturée, avant une fin brutale, comme si on avait coupé le courant. Ça parle du deuil consécutif à une rupture amoureuse, et c’est aussi vital que mélancolique. L’essence de la pop, pas moins. « Sweat yourself » est donc une façon plus soft de dire « Go fuck yourself ». L’effet, c’est un euphémisme, est maximal et cette chanson m’obsède littéralement, je me la passe et me la passerai en boucle jusqu’à plus soif, et ce ne sera pas pour demain…

Quels chemins a t-il fallu emprunter pour savoir quel est ce groupe ! C’est en se rendant sur leur Instagram qu’on en apprend un peu plus. Le chanteur et porte-parole de la bande se nomme Ethan Ramon et il a eu la bonne idée d’envoyer une démo de son groupe par mail au label londonien Rough Trade, label dont les patrons Geoff Travis et Jeannette Lee ont, et c’est peu dire, des oreilles en or. Rough Trade a été en effet la maison des Smiths avant d’être celle de Jarvis Cocker (et dorénavant celle du Pulp ressuscité), de Amyl & the Sniffers, de Sleaford Mods et de Parquet Courts, entre autres. Enfin, ce sont eux qui avaient signé un quintet new-yorkais inconnu sur la foi d’une seule écoute de la démo d’une chanson en 1999,  The Modern Age, premier single des Strokes, et donc paru chez Rough Trade, label sexy par excellence, bien entendu… Sur le site du label, Travis et Lee avouent avoir été bluffés par la démo qui leur avait été miraculeusement envoyée depuis Los Angeles. Heureuse coïncidence, Jeannette Lee était à LA et est allée se rendre compte du potentiel de the Sophs en allant les voir jouer dans un bar. Son instinct ne l’avait pas trompée, le concert corrobora sa première impression. Rough Trade a donc été immédiatement séduit par l’honnêteté brutale de the Sophs, leur pensées flamboyantes et l’ampleur de leur spectre musical, mêlant créativité et variété. Sans parler de leur côté « Ne me demandez pas de faire joli ». Donc attendons-nous pour la suite à du pop-punk pénétrant, du funk incandescent et à un « sprachgesang » porté par la voix décidément séduisante d’Ethan Ramon, lequel clame vouloir voler, plagier et emprunter, pour qu’à la fin sa musique sonne d’une façon incroyable. 

Quand on y pense, à l’heure des enregistrements dans sa chambre et des notoriétés gonflées sur les réseaux sociaux, the Sophs vivent un conte de fées à l’ancienne. Avec voyage à Londres pour la signature du contrat, séance de photos pour illustrer la pochette du single et tournage d’un clip déjà culte. Une première tournée suivra, sur la côte ouest US, à New York puis pour quelques dates européennes (dont celle au Supersonic à Paris le 8 septembre). Ce genre d’histoire n’a pas été racontée depuis… the Strokes ou Arctic Monkeys. Alors peut-être délire t-on en imaginant un destin stellaire à ces six garçons californiens, mais l’aventure de the Sophs est si sexy et finalement si atypique aujourd’hui qu’on a hâte d’en découvrir la suite !